La saison de la nidification débute à peine, mais les arrivées en situation critique liées à l’entretien des parcs et jardins s’enchaînent déjà au Centre de Soins. À Bruxelles, l’élagage et l’abattage des arbres sont interdits entre avril et août, et la Ligue plaide pour que cette mesure soit étendue à la Wallonie. Mais dans le secteur professionnel de l’élagage et de l’abattage, déjà souvent fragilisé, cette perspective fait grincer des dents. Des intérêts fondamentalement inconciliables ? Certains acteurs engagés prouvent le contraire.

Élagage et nidification : des enjeux conciliables ?
Une question vitale pour la faune ailée
« Nous venons de recevoir une nichée de Mésanges bleues tombée d’un arbre abattu. Trois des petits sont morts sur le coup. ». Voici une phrase qu’il n’est pas rare d’entendre dans les couloirs des centres de soins et de revalidation, chaque année dès le mois de mars. Durant la période de reproduction, les centres reçoivent en effet de nombreux oiseaux juvéniles orphelins ou blessés, victimes de l’abattage et de l’élagage des arbres ou de la taille des haies.
Abris, postes de chant, ressources alimentaires, mais aussi sites propices à la nidification, les arbres et haies sont des milieux intensément fréquentés par les oiseaux tout au long de l’année. Mais quand les travaux d’élagage et d’abattage s’invitent à la fête en période de reproduction, ces espaces peuvent se transformer en véritables pièges mortels pour les nichées et les parents.
Des compatibilités à plusieurs niveaux
D’un point de vue biologique, les pratiques d’élagage/abattage des arbres et la nidification des oiseaux sont compatibles, à condition d’intervenir aux bons moments.

© Arboreal
« Au niveau de l’arbre, il n’y a pas vraiment de période de prédilection pour tailler, si ce n’est qu’il faut éviter les grandes périodes de mouvement de sève, donc les 2 premières semaines de l’automne, et les 2 premières semaines du printemps, aux moments du renouvellement et de la chute des feuilles. », indique Philippe Mullier, fondateur d’Arboreal, société d’élagage/abattage engagée face à la problématique. « Même si certaines essences cicatrisent mieux lorsqu’elles sont taillées en été, il n’y a pas de contre-indication à les tailler à un autre moment de l’année. » Il est donc possible de tailler les végétaux sans nuire à la reproduction des oiseaux durant une grande partie de l’année.
« Un changement culturel est de toute façon en marche auprès des particuliers », ajoute l’élagueur. « Depuis 4-5 ans, il y a une énorme baisse de la demande de la part des particuliers durant la période de nidification. Au début de l’interdiction à Bruxelles, personne n’était au courant, et nous faisions passer le message. Aujourd’hui, c’est plutôt l’inverse : les personnes nous demandent d’entrée de jeu si la période est propice. »
Qu’en dit la loi ?
En région bruxelloise, l’élagage et l’abattage des arbres à l’aide d’engins motorisés sont interdits du 1er avril au 15 août (1). En Wallonie, il n’existe malheureusement pas de législation régionale concernant l’abattage et l’élagage des arbres. La législation dépend du règlement communal de police. Cependant, tous les oiseaux sauvages européens sont protégés en vertu de la Directive Oiseaux de l’Union Européenne (2), de l’Ordonnance Nature en Région bruxelloise (1), et de la Loi sur la Conservation de la Nature en Région wallonne (3), avec une attention particulière à la protection des nids.

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La Ligue milite pour qu’une interdiction visant à protéger les nichées soit introduite en Wallonie, avec deux modifications par rapport à l’Ordonnance bruxelloise : l’avancement du début de l’interdiction au 1er mars, pour s’adapter aux variations du cycle en raison du changement climatique, et l’élargissement de l’interdiction pour y inclure les tailles de haies (seuls les arbres sont actuellement concernés).
Un tel règlement, applicable aux particuliers et aux organisations, semble d’autant plus nécessaire que les agriculteurs sont déjà, à juste titre, soumis à une obligation similaire dans le cadre de la politique agricole commune (PAC) (4).
Des enjeux pour le secteur professionnel de l’élagage et de l’abattage
Si ces interdictions constituent une nécessité pour la protection de l’avifaune, elles représentent aussi des enjeux pour les élagueurs/abatteurs professionnels.
« Concrètement, il y a pas mal de mécontentement dans le secteur », indique Philippe Mullier. « Dans un premier temps, c’est difficile parce qu’on ne peut plus travailler pendant quatre mois […], et à partir du 15 août, en un coup, ça repart, et on doit concentrer toutes les demandes sur une même période. »
Pour les entreprises pratiquant exclusivement l’élagage et l’abattage, une telle interdiction implique la mise à l’arrêt des employés plusieurs mois par an. Cela se traduit souvent par l’engagement de travailleurs saisonniers, générant une certaine précarité dans l’emploi, et une plus grande difficulté à trouver des collaborateurs.
Quelles solutions pour le secteur ?
Si certains professionnels profitent de la différence de législation entre les régions pour s’exporter vers la Wallonie et pratiquer toute l’année au risque de mettre en danger les oiseaux en cours de nidification, d’autres font le choix de rester.
Philippe Mullier, resté à Bruxelles par conviction avec son entreprise, l’affirme : des solutions existent pour faire coexister les intérêts de tous.

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« La clé se trouve dans la diversification des services proposés. On ne peut pas élaguer et abattre entre avril et août, mais cela ne signifie pas que l’on doit être complètement à l’arrêt ». « Le mulching et la redynamisation, on les a toujours fait. Mais les constructions en bois, par exemple, cela fait partie des adaptations que l’on a mises en place ces 5-6 dernières années. On utilise aussi notre matériel de grimpe pour aller poser des nichoirs en hauteur. Nous l’avons récemment fait sur la façade de la maison communale d’Uccle ».
Ces réadaptations ne se font cependant pas sans peine : « Les nouvelles activités demandent des investissement dans du nouveau matériel, ce qui n’est pas toujours possible ou simple. Une de nos revendications, c’est qu’une aide des pouvoirs publics accompagne les interdictions de pratiquer notre métier pendant plusieurs mois, pour nous permettre de nous retourner et de nous adapter. Notre secteur réclame également quelques adaptations ou exceptions à la loi, comme la possibilité d’abattre les arbres qui présentent un risque pour la sécurité des personnes. ».
Vers une coexistence harmonieuse
On le voit, des pistes existent, du côté des élagueurs/abatteurs, pour permettre au secteur de continuer à pratiquer sans constituer une menace pour la faune en période de reproduction. Philippe Mullier va même plus loin, en appuyant sans le savoir une des revendications de la Ligue : « Je me demande s’il ne faudrait pas décaler les dates de l’interdiction, pour commencer plus tôt dans l’année, et terminer plus tôt également. On voit en effet, dès le début du mois de mars, les nidifications commencer. Par contre au début du mois d’août, il n’y a plus vraiment d’activité ».
Si l’entente semble donc possible entre les secteurs professionnels et associatifs, les cartes sont aujourd’hui entre les mains des pouvoirs publics, tant pour le développement de nouvelles législations, que pour la mise en place de mécanismes de soutien adaptés à ces dernières.
En attendant, que vous soyez professionnel ou particulier, n’oubliez pas la faune ailée lors de vos travaux d’entretien des parcs et jardins. Vous pourriez sauver des vies !
Je suis témoin d’élagage ou d’abattage d’arbres en période de nidification, que faire ?
À Bruxelles, l’interdiction concerne précisément la taille et l’abattage des arbres à haute-tige (plus de 4 m de hauteur et 40 cm de circonférence à 1m50 du sol) avec des engins motorisés entre le 1er avril et le 15 août.
Si vous êtes témoin de ce type d’actes, contactez le service environnement de votre commune pour vérifier qu’un permis a bien été obtenu. Si c’est le cas, contactez ensuite Bruxelles Environnement pour vérifier qu’une dérogation a également bien été obtenue de leur part. En cas d’infraction, récoltez un maximum d’informations, prenez des photos et envoyez-les à votre commune ou à Bruxelles Environnement (inspection-inspectie@environnement.brussels) et/ou appelez la police pour faire constater et arrêter l’infraction.
En Wallonie, cette thématique est une compétence communale mais la plupart des communes ne légifèrent pas à ce propos. Vérifiez donc le règlement de police de votre commune.
Quand a lieu la période de reproduction des oiseaux ?
La période de reproduction a généralement lieu du mois de mars à la mi-août. Ces dates sont susceptibles de varier en fonction des conditions météorologiques, et ont tendance à avancer légèrement au fil des ans en raison des changements climatiques.
Il y a des exceptions à cette règle : les rapaces nocturnes, comme les chouettes et hiboux, se reproduisent dès le mois de janvier. Même en dehors de la période mars-août, il est donc essentiel de toujours bien vérifier qu’aucun oiseau ne niche dans vos arbres et haies avant d’entamer vos travaux d’entretien.
Références
https://environnement.brussels/sites/default/files/user_files/ord_20120417_mb_consolidee.pdf
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX%3A02009L0147-20190626
https://biodiversite.wallonie.be/fr/especes.html?IDC=2912
https://www.natagriwal.be/du-01-04-au-31-07-je-nentretiens-pas-ma-haie/
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