Photo de Nicolas de Sadeleer

Actuellement, la directive sur les énergies renouvelables de 2018 prévoit que 32,5% de la consommation finale brute d’énergie soit produite en 2030 à partir de sources renouvelables. À l’avenir, les 27 États devraient atteindre 40, voire 45%. Ainsi, les énergies renouvelables occuperont une part croissante dans la production énergétique. Pour atteindre cet objectif ambitieux, les institutions de l’UE comptent accélérer le déploiement des énergies renouvelables et simplifier les procédures administratives, ce qui revient à détricoter la protection accordée aux espèces sauvages, à leurs habitats ainsi qu’aux eaux de surface.

Texte et photos : Nicolas de Sadeleer, Professeur de droit à l’université Saint-Louis, Chaire Jean Monnet

Introduction

Sous l’effet conjugué de l’objectif de neutralité climatique et de la volonté de s’affranchir des énergies fossiles importées notamment de Russie, les institutions de l’Union européenne ont adopté fin 2022 le règlement (UE) 2022/2577, et sont sur le point d’adopter une directive sur les énergies renouvelables. Le règlement est d’application directe alors que la future directive devra être transposée par les trois régions dans leur droit administratif respectif. Les installations utilisant des sources d’énergie renouvelables, et notamment les installations d’énergie éolienne, sont considérées dans ces deux textes comme étant des éléments essentiels pour lutter contre le changement climatique, faire baisser les prix de l’énergie, réduire la dépendance de l’Union à l’égard des combustibles fossiles et assurer la sécurité de l’approvisionnement en énergie de l’UE.

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La priorité accordée au déploiement des énergies renouvelables

Adopté à la fin de l’année dernière, le règlement (UE) 2022/2577 établit un cadre en vue d’accélérer le déploiement des énergies renouvelables. Il apporte sur le court terme des changements significatifs aux procédures (nationales ou régionales) d’autorisation des installations de production d’énergie renouvelable.
Alors que les directives en matière de protection de la nature sont adoptées par le Parlement européen et le Conseil des ministres, ce règlement a été adopté par la formation du Conseil rassemblant les 27 ministres de l’énergie. Le recours à cette procédure exceptionnelle a été justifié par le fait que l’UE est confrontée à une situation urgente en raison du « risque élevé d’arrêt total de l’approvisionnement en gaz russe» et de « l’augmentation des prix de l’énergie». La crise de l’énergie résultant de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il y a un an, a donc eu pour effet d’écarter les parlementaires européens, qui sont généralement plus favorables à la protection de la nature que les ministres de l’énergie.

En adoptant le règlement 2022/2577, le Conseil des ministres a modifié trois directives environnementales (habitats, oiseaux, eau) en vue d’accorder à la production d’énergie renouvelable la priorité sur la conservation de la nature. Cette présomption permet ainsi aux autorités accordant les autorisations de construire et d’exploiter des éoliennes, des installations solaires ou des barrages, de faire pencher la balance en faveur des exploitants quand bien même leurs installations causeraient des dommages significatifs aux oiseaux sauvages et à leurs habitats.

Cette présomption est toutefois soumise au respect de certaines conditions. Tout d’abord, il ne doit pas exister d’autre solution satisfaisante, ce que l’exploitant peut facilement démontrer. Ensuite, la dérogation ne doit pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, condition qui est difficile à vérifier. Enfin, les autorités devront prévoir «des ressources financières suffisantes ainsi que des espaces» qui seront réservés «au maintien ou au rétablissement des populations» d’espèces affectées par ces installations (mesures compensatoires).

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On le sait, les mesures compensatoires, consistant notamment dans la mise en jachère de cultures, peuvent avoir des effets bénéfiques sur les alouettes qui sont notamment victimes des pales des éoliennes. Toutefois, ces mesures ne permettent pas de compenser les pertes d’oiseaux migrateurs. Des études ornithologiques récentes ont mis en évidence une mortalité élevée de certaines espèces migratrices (Martinet noir, Roitelet à triple-bandeau, etc.) entrainée par leur collision avec des pales des éoliennes [1]. Etant donné que le Roitelet à triple-bandeau est une espèce essentiellement forestière, qui évolue le plus souvent à couvert, on ne s’attendait pas à ce qu’il soit une victime des éoliennes. La prédominance des martinets noirs dans les cas de mortalité recensés s’explique par leur tendance à traverser les parcs plutôt que de les contourner. Ces oiseaux sont donc soumis aux turbulences et à la dynamique des courants thermiques. En outre, plusieurs espèce de rapaces chassant à moyenne altitude (Faucon crécerelle, Faucon crécerellette, Milan noir, Milan royal, Busard cendré, Epervier d’Europe) sont particulièrement sujettes à des collisions avec des éoliennes.

Mesure temporaire destinée à contrer une situation exceptionnelle, le règlement 2022/2577 est d’application jusqu’au 1er juillet 2024. Il s’applique directement à toutes les procédures d’octroi de permis qui débutent au cours de sa période d’application. Il pourrait également s’appliquer aux procédures en cours et qui n’ont pas abouti à une décision finale avant le 30 décembre 2022. Il s’agit ici d’une faculté que les régions flamande et wallonne pourraient mettre en œuvre si elles souhaitent accélérer la délivrance des permis. Dans ce cas, les régions devront veiller à ce que les droits des riverains soient «préservés ».

Cependant, la priorité qui est accordée aux énergies renouvelables peut être restreinte à certaines parties du territoire et à certaines installations. Or, si les régions ne prévoient pas de telles restrictions, la simplification administrative qui découle du règlement 2022/2257 s’appliquera intégralement sur leur territoire et ce pour toutes les sources d’énergies renouvelables.

Création de zones propices pour le déploiement des énergies renouvelables

À la différence du règlement du Conseil des ministres commenté ci-dessus dont l’application est temporaire, l’objectif de la directive sur les énergies renouvelables («RED II») consiste à accélérer, sur le long terme, le déploiement des énergies renouvelables. Le Conseil des ministres de l’UE (formation énergie) est parvenu à un accord le 19 décembre 2022, ce qui lui a permis d’entamer les négociations avec le Parlement européen. En vue d’accélérer leur déploiement, la proposition de directive établit une distinction entre les projets d’énergie renouvelable qui seront déployés dans des «zones propices», pour lesquelles les procédures d’octroi des permis seront simplifiées, et les projets situés en dehors de ces zones.

Les États membres (en Belgique, les régions) devront adopter un ou plusieurs plans délimitant les « zones propices » au déploiement des énergies renouvelables et établir les conditions d’installation et d’exploitation des projets d’énergie renouvelable. La priorité devant être donnée aux zones artificialisées, les zones protégées devraient être évitées. Mais c’est oublier que les chauves-souris et les oiseaux migrateurs survolent tout le territoire sans se soucier de la présence de zones protégées.

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Planification des zones propices soumise à évaluation mais suppression des études pour les projets

Les plans délimitant les « zones propices » seront soumis à une évaluation des incidences sur l’environnement simplifiée. Par dérogation aux obligations prévues par la directive 2011/92 (sur les études d’incidence) et 92/43 (Habitats), les projets qui seront implantés dans les « zones propices » (parcs d’éoliennes, barrages, par exemple) seront dispensés de l’obligation d’évaluation ainsi que de l’évaluation appropriée Natura 2000.

L’évaluation ne se fera donc plus en aval en rapport avec des projets spécifiques mais bien en amont au niveau de la planification des «zones propices». En d’autres mots, les impacts spécifiques de chaque parc éolien ou solaire ne seront plus évalués au motif que les impacts du plan instituant la zone propice auraient été préalablement examinés. Assurément, cela permettra de gagner du temps dans la délivrance du permis. Cela étant dit, les autorités devront prévoir par la suite un cadrage préalable des demandes de permis en vue d’ « identifier » si les projets prévus dans la zone propice sont susceptibles de donner lieu à des effets significatifs qui n’aurait pas été identifiés en amont au cours de l’étude stratégique réalisée sur la «zone propice».

Quoi qu’il en soit, les naturalistes ont de quoi s’inquiéter. En effet, une évaluation à l’échelle nationale ou régionale ne permettra pas d’identifier les effets spécifiques et cumulatifs engendrés par les installations particulières (identification concrète des couloirs migratoires, des sites de nidification de rapaces vulnérables et de chiroptères à proximité des éoliennes).

En outre, s’agissant de la protection des oiseaux sauvages et des chauves-souris, les études d’incidence portant sur un parc éolien permettent d’identifier les emplacements les moins dommageables, les mesures d’effarouchement, les restrictions d’exploitation en cas de pic migratoire, l’aménagement de zones de nourriture éloignées du parc éolien pour attirer les chauves-souris, les mesures destinées à compenser la mortalité des oiseaux en raison des collisions, etc. Qui plus est, les études d’incidence devraient contribuer à lever les incertitudes. A titre d’exemple, les causes de mortalité des chauves-souris relèvent d’une combinaison de phénomènes liés à la diversité des comportements des espèces, à leurs hauteurs de vols, à l’influence des insectes proies et à l’ensemble des conditions bio-géo-climatiques qui les influencent. Elles dépendent aussi en partie du gabarit des éoliennes et du contexte de l’environnement qui les entoure. Cette multitude de facteurs induit une typologie du risque très hétérogène, dans l’espace et dans le temps, d’un parc éolien à un autre et souvent difficile à anticiper. Selon nous, le principe de précaution justifie le maintien des études d’incidence pour les projets particuliers qui sont plus appropriées pour aborder les risques incertains que les études stratégiques réalisées au niveau de la planification.

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Enfin, pour les installations situées en «zones propices», l’absence d’études d’incidence va permettre aux autorités de délivrer plus rapidement que par le passé les permis: un an pour les installations terrestres et deux ans pour les installations en mer. Cerise sur le gâteau, si l’administration ne parvient pas à rendre sa décision dans les délais prescrits, le maître d’ouvrage sera dispensé d’obtenir
les permis requis, technique dite du «permis tacite».

En outre, les enquêtes publiques qui permettent à la population de faire part de ses observations sont chevillées à l’évaluation des incidences des projets. Supprimer les études d’impact pour les projets particuliers reviendra à oblitérer une garantie procédurale essentielle à la démocratie participative. L’urgence énergétique conduirait ainsi à un recul significatif des droits procéduraux accordés aux administrés.

Par ailleurs, la création de zones propices n’empêchera pas l’exploitation d’installations de production d’énergie renouvelable en dehors de ces zones. Le délai d’instruction des projets situés à l’extérieur de ces zones est plus long que celui applicable aux zones propices, à savoir deux ans. Sera-t-il possible d’implanter des installations de production d’énergie renouvelable au sein de zones Natura 2000? Comme les négociations sont en cours, on ne peut à ce stade se prononcer.

Enfin, le législateur de l’UE compte assouplir les conditions de dérogation au principe d’interdiction de destruction d’espèces protégées. En effet, la destruction d’espèces animales protégées ne sera plus considérée comme étant délibérée au sens des directives « Habitats » et « Oiseaux » dans l’hypothèse où l’exploitant de l’installation adopte des mesures préventives en vue d’éviter les collisions et de prévenir les nuisances et assure un suivi de l’effectivité de ces mesures.

Conclusion

Les énergies renouvelables se trouvent au cœur de la transition vers une énergie propre nécessaire pour atteindre les objectifs du pacte vert pour l’Europe. L’objectif de garantir que 40 ou 45% de la consommation finale brute d’énergie proviennent d’ici 2030 de sources renouvelables devrait accroître les investissements dans ce secteur et réduire la dépendance de l’UE à l’égard des importations de combustibles fossiles. Encore faut-il garder à l’esprit que le recours accru aux énergies renouvelables et la protection de la nature ne font pas nécessairement bon ménage. Les actes commentés ci-dessus attestent un véritable recul de la protection accordée à des espèces animales et à des habitats vulnérables et menacés.

Un zonage comprenant les «zones propices pour le déploiement des énergies renouvelables» n’est pas une mauvaise idée en soi, d’autant plus que les zones retenues devront être artificialisées. Si l’on peut se réjouir que les sites Natura 2000 et d’autres sites protégés seront exclus de ces «zones propices», il n’en demeure pas moins que de nombreuses espèces s’alimentent, nidifient, migrent sans se soucier de savoir si la zone est protégée ou non. Aussi, l’absence d’une évaluation plus poussée en ce qui concerne l’emplacement même des installations d’énergie renouvelable dans les zones propices ainsi que la réduction des délais d’octroi des permis ne permettront pas de dégager les mesures visant à prévenir les collisions. Ainsi la nature devra-t-elle payer un lourd tribut à l’accélération de la transition énergétique. A nouveau, le temps d’adaptation des écosystèmes et de leurs espèces se conjugue mal avec la précipitation des investisseurs.

[1] Ligue pour la protection des oiseaux et Birdlife International, Le parc éolien français et ses impacts sur l’avifaune. Études de suivi de mortalité réalisées en France de 1997 à 2015, p. 44-45