L’expression «pollution lumineuse» est apparue il y a une trentaine d’années, depuis que le ciel n’est plus complètement obscur la nuit, rendant la vision des étoiles et des planètes difficile pour les astronomes. 

Qu’est-ce que c’est ?

La pollution lumineuse est la présence anormale ou gênante de lumière artificielle dans l’environnement nocturne, lorsqu’elle a des conséquences néfastes sur les écosystèmes. 

Cette pollution prend, par exemple, la forme de sur-illumination, d’éblouissement, ou encore de luminescence du ciel nocturne. Les effets sur l’horloge biologique des animaux semblent être d’autant plus importants que la lumière tend vers l’ultraviolet. En outre, l’introduction de nouvelles technologies d’éclairage (halogènes ou LED), dont la gamme des longueurs d’onde émises est large, pourrait encore augmenter les effets cachés de l’éclairage artificiel sur l’environnement.

A l’origine de cette pollution: l’éclairage public des rues et des édifices publics, l’éclairage des maisons, l’éclairage des routes et celui des phares des voitures, des panneaux publicitaires, des enseignes commerciales. Il faut y ajouter l’éclairage inutile des immeubles de bureaux qui restent allumés toute la nuit, celui des luminaires de jardins, …. 

D’après les vues prises par satellite, 20% de la surface terrestre est inondée de lumière artificielle, avec une croissance de l’ordre de +5 à +10% par an depuis 1990. De plus, 50% de l’énergie lumineuse artificielle serait dirigée vers le ciel inutilement.

Malgré l’évidence de cette pollution lumineuse, il est difficile de communiquer à propos de son impact sur la faune et la flore. Ceci pour trois raisons principales: les espèces animales sont aussi sensibles à des lumières non visibles par l’homme, comme les infrarouges ou les ultraviolets, ce qui cache en partie le phénomène; la science ne connaît pas encore fort bien le monde du vivant qui habite la nuit; enfin, peu d’informations ont été publiées à ce sujet par le monde scientifique et vulgarisées ensuite auprès du grand public. 

 Quelques exemples d’impact

Ses effets se manifestent de la manière la plus évidente sur les oiseaux et sur les insectes.

Le Merle noir, par exemple, est un oiseau diurne. Une étude récente, publiée en février 2013 par des écologues allemands de l’Institut Max Planck, montre que la demi-obscurité, dans les parcs et les jardins de la ville de Munich, perturbe les rythmes biologiques de ces oiseaux. Ces merles citadins ont été équipés d’un appareil qui enregistre la luminosité de leur environnement en continu. Les chercheurs ont fait trois constatations marquantes. Ces merles cherchent, durant la nuit, les endroits les moins éclairés. L’intensité moyenne de leur éclairement ne dépasse pas 0,3 lux (lux = unité de puissance d’un flux lumineux). De toute évidence ces oiseaux évitent la proximité des sources de lumière, comme les lampadaires qui émettent à 20 lux. En dépit de ce niveau très bas d’intensité lumineuse, la période de reproduction des oiseaux a été décalée par rapport à celle de leurs homologues des campagnes, car ils s’accouplent un mois plus tôt. Ils chantent également plus tôt le matin et muent précocement en automne. La lumière artificielle semble davantage conditionner la physiologie de ces merles que d’autres paramètres comme la variation de la température ou la disponibilité en nourriture. Il suffit de peu d’écart par rapport aux conditions naturelles pour perturber l’horloge biologique interne des oiseaux étudiés. Quelles incidences ces changements auront-ils à terme? Cela dépendra, entre autres, aussi de l’incidence de la lumière artificielle sur leurs proies: par exemple, si le pic d’abondance de celles-ci survient encore au même moment, ou non, que celui où les oiseaux ont des petits au nid et doivent les nourrir.

L’Etourneau sansonnet afflue, par centaines ou par milliers d’individus, au centre des villes en hiver pour profiter de la chaleur qu’elles dégagent. Cet oiseau s’est, lui aussi, adapté à l’éclairage artificiel, tout comme le pigeon des villes. Ces étourneaux ne migrent plus, prospèrent et nidifient avant le retour des migrateurs; ces derniers trouvent alors moins de nourriture lors de leur retour au printemps, ce qui fragilise leur reproduction.

Le Cygne de Bewick niche dans le grand Nord (toundra arctique) mais passe l’hiver en Europe occidentale, par exemple en Zélande. Dans leur zone d’hivernage leur environnement est baigné de lumière artificielle, ce qui leur permet de se nourrir la nuit et d’augmenter plus vite leurs réserves nutritives. Au printemps ils retournent plus rapidement vers le Nord pour s’y reproduire. Mais, quand ils arrivent à destination, ils y sont revenus trop tôt car l’hiver là-bas est encore rigoureux et la nourriture absente … Par contre, leurs prédateurs locaux, bien adaptés, en profitent. La pollution nocturne n’affecte pas que les oiseaux. Les insectes aussi sont directement concernés. On connaît l’attirance des papillons nocturnes et des coléoptères pour les luminaires les mois d’été. Par exemple, le mâle du Ver luisant (Lampiris noctiluca) vole la nuit à la recherche des femelles. Celles-ci sont aptères et donc relativement immobiles; elles émettent une lumière froide et verdâtre sur la face ventrale de leurs derniers segments abdominaux. Mais les mâles sont trompés: ils sont attirés par la lumière artificielle, alors qu’en même temps la lumière émise par les femelles est cachée par la luminosité ambiante. Les mâles, pourtant adaptés à la vision nocturne avec leurs gros yeux, ne repèrent plus les signaux lumineux émis par les femelles. L’absence de rencontre et de fécondation qui en résulte conduit à la disparition locale de l’espèce. L’on constate ainsi que ces insectes ont disparu des zones les plus éclairées, à des distances jusqu’à un km du plus proche lampadaire. C’est un des éléments de la chaîne alimentaire qui disparaît ainsi.

Les femelles des papillons de nuit, qui sont attirées par la lumière artificielle, pondent leurs œufs dans des endroits inadéquats … Ces lampadaires attirent en fait une grande quantité d’autres insectes. Il a été observé que la mise en place d’un lampadaire sur un rond-point en pleine campagne avait eu pour effet d’éliminer, en 2 ans et dans un rayon de 200 mètres, la majorité des insectes nocturnes qui occupaient le secteur. Cette entomofaune a fui ou s’est épuisée à tourner autour de points lumineux pour finir par griller. Elle peut aussi avoir été décimée par ses prédateurs.

Les mammifères sont concernés également. Une espèce de Chauve-souris, la Pipistrelle (ainsi que la Sérotine commune) s’est particulièrement bien adaptée à cette concentration de proies. Le lampadaire devient un «point chaud» de la prédation d’insectes. Ce phénomène n’est pas anodin car il conduit à la disparition des insectes qui se concentrent d’une manière anormale en dehors de leur biotope naturel. Ceci a une conséquence indirecte: cette prédation délocalisée se fait aux dépens des autres prédateurs naturels dans les biotopes que les proies ont quittés et où elles vivent d’habitude.

La végétation est affectée également car ce sont les insectes qui pollinisent les plantes. La disparition des uns impacte ensuite la vie des autres. En outre, les plantes détectent des longueurs d’ondes (dans l’ultraviolet et dans l’infrarouge) que l’homme ne voit pas; elles sont également plus sensibles à des intensités de lumière peu élevées, si faibles qu’elles nous sont imperceptibles. Or, si les végétaux ont besoin de lumière du jour pour la photosynthèse, ils ont aussi besoin d’obscurité. Ils se sont adaptés, eux aussi, à l’alternance du jour et de la nuit. Celle-ci est utilisée à divers processus d’entretien et de croissance, alors que durant le jour la photosynthèse domine. En cas d’éclairage permanent les plantes ne sont plus en mesure de se développer normalement; ainsi, les arbres en milieu urbain ont des feuilles plus précoces au printemps et puis qui tombent anormalement tard dans l’année … Mais globalement, sur l’année ils produiraient moins d’oxygène qu’un arbre campagnard! 

Comment la limiter ?

Les remèdes paraissent évidents. Il faut réduire l’éclairage inutile, de longue durée et de trop forte intensité. Il faut éviter d’éclairer le ciel, comme il faut réduire la surface éclairée au sol en utilisant des lampadaires dont le faisceau lumineux est dirigé vers le bas. Il est possible aussi de réduire la portée de l’éclairage en diminuant la hauteur des luminaires et la puissance des lampes. Enfin, il est conseillé d’éviter l’émission d’une lumière se rapprochant de l’ultraviolet, laquelle semble avoir l’effet d’attraction le plus important.

Les réserves naturelles, les sites Natura 2000 et les couloirs «bleus ou vert», qui relient ces zones entre elles, doivent être protégés de la lumière artificielle inutile.