Selon les chasseurs, « la chasse en Wallonie est un secteur économique important ».

Les deux tableaux ci-dessous sont extraits d’un intéressant mémoire de fin d’études basé sur les données d’une chasse au grand gibier. Son auteure est administratrice du « Royal Saint-Hubert Club de Belgique », une fédération qui regroupe de l’ordre de 12.000 membres cotisants et dont le but statutaire est la promotion de la chasse de loisir et la défense des chasseurs.

Selon le premier tableau ci-dessous, le secteur de la chasse pèse près de 135 millions d’euros par an en Région wallonne. Ce chiffre mérite d’être commenté et les dépenses indiquées d’être remises dans leur contexte.

Les permis et les taxes payés par les chasseurs s’élèvent à 4,0 M€/an. Ce montant peut être considéré comme un impôt en échange duquel il est permis de prélever le gibier qui appartient à la collectivité. Ce montant est toutefois largement compensé par les revenus de la chasse, qui s’élèvent à 6,1 M€/an et qui proviennent de la vente, par les sociétés de chasse, du gibier abattu. Les chasseurs réalisent donc un profit de près de 2 M€/an sur le tir et la vente du gibier.

« Des hommes achètent à bon compte le droit de détruire et de verser le sang à leur guise, parce que c’est là qu’ils trouvent leur joie. Voilà la vérité sur la chasse ».

Pierre Viansson-Ponté.

Ce tableau établit le bilan des dépenses des chasseurs, mais il ne donne, par contre, aucune indication concernant les dommages causés à la nature par les dérives de la chasse. Pour être complet, ce tableau devrait donc aussi afficher la valeur des dégâts environnementaux dus à la gestion cynégétique lorsqu’elle crée un dommage au bien commun, sans contrepartie. Ces dégâts disparaîtraient en cas de limitation de la chasse de loisir.

Les dégâts sylvicoles dus à l’abroutissement (consommation de broussailles et de jeunes arbres par les animaux sauvages), au déracinement et à l’écorcement de la forêt, qui sont provoqués par le gibier maintenu artificiellement en surnombre, obligent à des coupes précoces d’arbres dévalorisés et qui contiennent des vices cachés (pourriture, fibre sèche, décoloration). Ces dégâts devraient être pris en compte comme externalité négative (voir aussi le point 2 ci-dessous). Tout comme devraient l’être les dispositifs pour rendre la chasse possible (grillages pour protéger des zones agricoles, information du risque pour les promeneurs, etc.), les frais environnementaux de déplacement vers le territoire de chasse, les nuisances liées à la pollution par le plomb, la dépréciation du patrimoine génétique de la faune du fait de l’élevage et de l’importation de souches non locales ou du nourrissage artificiel, la perte de capital naturel indigène du fait de la chasse, la disparition des espèces due à la banalisation des milieux, le désagrément des non-chasseurs empêchés de se balader à cause d’une chasse en cours, etc. Et il faudrait, de plus, tenir compte du coût sociétal des accidents et incidents dus à la chasse, dont sont victimes des chasseurs eux-mêmes, ainsi que de simples citoyens et leurs biens.

Le poste « gestion des territoires » de 12,4 M€/an représente des frais de nourrissage du gibier, d’aménagement et d’entretien du territoire et d’introduction éventuelle de gibier d’élevage. De tels frais ne bénéficient pas à la nature, ils ne servent qu’aux chasseurs et illustrent bien ce que l’activité de chasse est devenue pour certains: une activité d’élevage. Ces frais de gestion sont dépensés en pure perte pour la collectivité car ils sont contre-productifs pour la qualité des biotopes et de leurs hôtes, parce qu’ils polluent le patrimoine génétique local et qu’ils ont pour effet d’importer et de disséminer des maladies. Les aménagements de la gestion cynégétique qui ne favorisent pas la faune et la flore indigène peuvent même se révéler désastreux, comme les cultures de maïs dans un bois ou en lisière, la disparition des reptiles et des batraciens du fait du lâcher de milliers de faisans dans la nature et de la surabondance des sangliers, la destruction des « nuisibles » considérés comme concurrents, etc.


Le simple abandon du nourrissage permettrait l’économie de ces coûts inutiles et nocifs pour la biodiversité. Des montants équivalents seraient plus utilement investis pour la collectivité dans des actions de conservation et de restauration des milieux naturels, pour le bien commun plutôt qu’à des fins ludiques.

Les retombées économiques pour le secteur de l’Horeca wallon sont estimées à 9,2 M €/an. Mais quel est l’impact négatif pour le secteur de l’Horeca de l’absence des amateurs de promenades et de nature qui fuient les week-ends de chasse ? Le tourisme « vert » ne peut-il se développer en Wallonie indépendamment de la chasse ? En outre, sans la chasse de loisir il y aurait en fin de compte moins de cerfs et de sangliers dopés par les nourrissages artificiels. De plus, ils seraient sans doute moins farouches et le promeneur-touriste pourrait alors les observer plus facilement.

Le poste de 10,7 M€ de « nourriture et de boissons » seraient dépensés sans l’activité de chasse aussi. Si la chasse de loisir devait être limitée ou interdite, les chasseurs concernés feraient d’autres dépenses et favoriseraient, par exemple, la photographie ou le tir aux clays, inoffensifs pour la faune.

« Les services écosystémiques sont sous-représentés dans les décisions politiques. Les écosystèmes sont essentiels à notre bien-être, à notre économie et à notre santé. La nature doit être pensée globalement et les enjeux financiers sont considérables. Dans ce contexte, les dépenses des chasseurs pour soi-disant protéger la nature sont dérisoires ».

Boeraeve Fanny.

Si la chasse crée du travail, c’est à relativement petite échelle. Cela concerne les participants aux battues et les garde-chasses. Les premiers effraient les animaux pour les faire fuir et les faire tirer par les chasseurs postés. Quant à l’impact sur la nature des seconds, il est tout aussi négatif pour la collectivité car leur travail se limite à alimenter les animaux en fourrage, à limiter le nombre des carnassiers, à organiser les battues, à faire sortir les promeneurs des bois …

Mais, non contents de chasser en Wallonie, selon cette étude, 51 % des chasseurs chassent,   régulièrement à l’étranger, essentiellement en France, Pologne et Grande-Bretagne pour un budget annuel qui dépasse quelques milliers d’euros par chasseur : voyage, gardes, logement, paiement au tir… En Belgique, cela équivaut à 1500 euros/jour pour le gros gibier ! Il est difficile de croire que ces chasseurs participent activement à la protection de la nature. Par contre, la chasse là-bas d’espèces rares ou absentes chez nous augmente leur fierté.

A l’inverse, dans le Hainaut par exemple, d’importantes chasses de plaine sont reprises par des chasseurs français qui y installent leurs gardes, spécialisés en piégeage. Ils empoisonnent les prédateurs naturels. Ils utilisent du « raccourcisseur » de paille, un produit hautement toxique qu’il est aisé de se procurer dans les exploitations agricoles. Nombre d’agents du Département Nature et Forêts (DNF) n’étant pas remplacés, et de même à l’U.A.B. (Unité Anti Braconnage), ces chasseurs « tuent-tout » courent peu de risques d’être contrôlés …

Notons que de nombreuses et importantes données à propos du nourrissage et des prélèvements de la chasse figurent dans le rapport de Lionel Delvaux « La forêt wallonne, une chasse gardée. Le poids du lobby de la chasse » (IEW).

Selon ce deuxième tableau, ci-dessus, le chasseur dépense en moyenne pondérée près de 6.000 euros (en 2004) par an. La chasse de loisir est donc bien une activité coûteuse qui concerne avant tout une partie relativement aisée de la population, laquelle exige en retour des « prélèvements » en suffisance pour rentabiliser son investissement.

Les chasseurs doivent payer aux cultivateurs pour les dégâts occasionnés par le gibier aux champs, fruits et récoltes.

C’est tout simplement prévu par la loi du 14 juillet 1961. Et c’est d’autant plus justifié que de nos jours les chasseurs de loisir sont à l’origine de la surabondance du gibier (sangliers et cervidés) et sont à l’origine des dégâts amplifiés causés à l’agriculture et à la sylviculture et même aux jardins dans le cas du sanglier. En l’absence de prédateurs naturels, qui sont pourchassés et exterminés par leurs soins depuis toujours, c’est donc bien le moins qu’ils assument les dommages causés par la multiplication du gibier due à la gestion cynégétique.

Même mis devant leurs responsabilités, les chasseurs de loisir rechignent à dédommager les dégâts. Ainsi, plutôt que de payer les cultivateurs pour les dommages causés aux cultures par les sangliers, trop nombreux car nourris artificiellement, ils ont tenté de faire payer ces dommages par la Région wallonne en les imputant aux blaireaux. En effet, au début des années 2010, la Région dû payer plus de 400.000 euros de dégâts à cause du mustélidé. Ensuite, après qu’une formation ait été mise en place pour bien différencier les dégâts des blaireaux de ceux des sangliers, les dégâts à rembourser par la Région ont été divisés par 10 ! Notons que les titulaires de droits de chasse dans le cœur des massifs forestiers et qui n’ont donc pas de zones agricoles adjacentes à leurs territoires ne doivent payer aucun dégât, au contraire du « petit » chasseur ayant son territoire en bordure du massif, là où les prairies et les champs sont localisés, et qui n’est pourtant pas responsable de l’abondance du suidé.

Notons encore que les dégâts du sanglier surdensitaire faits aux forêts et aux jardins ne sont pas dédommagés.

Et que dire de la pratique qui consiste à payer des agriculteurs pour cultiver du maïs en périphérie des bois et le laisser tout l’hiver pour nourrir les sangliers ? La superficie concernée atteint plusieurs centaines d’ha pour la Wallonie ! Ou celle consistant à cultiver de maïs en forêt ?

Revenus nets de la chasse pour les propriétaires en cas de surdensité de gibier

Les revenus de la location de territoires de chasse sont souvent considérés par les propriétaires comme des revenus nets. Un article paru dans la revue Forêt wallonne en 2014 indique, à partir de l’exemple d’une zone de chasse d’une superficie de 1602 hectares, louée par une commune et située en Haute Ardenne, que ce n’est pas le cas si les populations d’ongulés sont en surdensité. Les recettes des locations de chasse sont alors inférieures aux frais engendrés par les dégâts de gibier (écorcement, abroutissement, mortalité des plants), par les pertes sur la valeur du bois et par les protections à installer pour le reboisement. Les recettes nettes seraient plus importantes pour la commune si la densité de gibier était à l’équilibre. Ne serait-il pas logique que les chasseurs prennent aussi à leur charge les dégâts causés aux forêts et aux jardins comme suite à leur gestion cynégétique ?

« … en moyenne, les rentrées financières annuelles liées à l’exploitation forestière dans les communes sont quatre à cinq fois supérieures à celle des revenus de la chasse. Les dégâts occasionnés aux peuplements forestiers sont par contre un manque à gagner considérable ».

Le Soir. Michel de Muelenaere.