C’est une bien triste nouvelle pour l’ornithologie, mais surtout une information révélatrice de l’état alarmant de la biodiversité sur notre planète et sur notre continent. D’après une étude publiée ce 17 novembre 2024, le Courlis à bec grêle (Numenius tenuirostris) est considéré comme éteint avec une probabilité de 96 % (1).
Une espèce mal connue observée pour la dernière fois il y a 30 ans
Dessin d’un courlis à bec grêle, vers 1830. ©Wikimedia Commons
Le Courlis à bec grêle est une espèce de courlis de taille légèrement inférieure à celle du Courlis cendré (taille similaire à celle du Courlis corlieu). Il se distingue du Courlis corlieu par une silhouette plus élancée et une posture plus verticale, ainsi que par son bec plus fin et plus pointu (2, 3). L’aire de répartition du Courlis à bec grêle, mal connue, était exclusivement située dans la région Paléarctique. L’espèce nichait en Asie centrale, et migrait en direction de l’Europe, de l’Afrique du Nord, du Moyen Orient et de la péninsule arabique pour hiverner. Il semblerait que l’espèce ait autrefois également niché à l’ouest de l’Oural. Des oiseaux de passage ont été vus à travers toute l’Europe, notamment aux Pays-Bas ainsi qu’en Bretagne. Mais la plupart des observations en dehors de la saison de reproduction ont eu lieu sur le site d’hivernage situé à Merga Zerga, sur la côte atlantique marocaine.
L’espèce y a été vue jusqu’au 23 février 1995, date de la dernière observation incontestée du Courlis à bec grêle. Certaines observations ont été rapportées par la suite, mais sans preuves photographiques irréfutables. Depuis, l’espèce a été activement recherchée, non plus sur ses zones d’hivernage, mais sur son aire de nidification. Plusieurs expéditions ont eu lieu, des centaines milliers de kilomètres carrés ont été explorés, malheureusement sans succès (4).
Les courlis, une famille menacée
Il existe huit espèces de courlis à travers le monde (genre Numenius). Parmi celles-ci, cinq sont en danger de conservation d’après l’IUCN (en comptant le Courlis à bec grêle). Chez nous, deux espèces peuvent être observées : le Courlis cendré (quasi menacé, effectifs en diminution), et le Courlis corlieu (préoccupation mineure, effectifs en diminution) (5). Le Courlis cendré, grand limicole gris-brunâtre au très long bec courbé niche dans une bonne partie de l’Europe, y compris en Belgique. Le Courlis corlieu, qui se distingue du Courlis cendré par un bec plus court et une raie sommitale claire, est observable dans nos régions en passage migratoire, principalement en avril et en août.
Courlis cendré
Courlis corlieu
Le Courlis à bec grêle est aujourd’hui éteint
Une étude publiée dans la revue scientifique IBIS le 17 novembre 2024 (1) estime qu’il y a aujourd’hui 96 % de chances que le Courlis à bec grêle soit éteint. En exploitant des modèles statistiques, les scientifiques ont estimé que la date d’extinction de l’espèce remontait probablement à peu après à la dernière observation prouvée datant de 1995 au Maroc. Pour les ornithologues européens, cette disparition est particulièrement symbolique, car c’est la troisième espèce d’oiseaux de la zone biogéographique du paléarctique occidental à être déclarée disparue au niveau mondial depuis 1500.
Il est essentiel que des leçons soient tirées de l’extinction de cette espèce
A ce stade, le Courlis à bec grêle est toujours classifié comme “En danger critique d’extinction” d’après l’IUCN. L’étude apporte les éléments scientifiques qui justifieraient un changement de statut attestant de l’extinction de l’espèce. Il faudra pour cela attendre une prochaine révision de la liste rouge de l’IUCN.
Les causes de l’extinction du Courlis à bec grêle ne seront probablement jamais totalement connues, mais il semble indéniable que la destruction des habitats par l’être humain et la chasse aient joué un rôle crucial. Enfin, la faible probabilité de trouver un ou une partenaire sur les aires de reproduction aura mené les derniers individus à l’extinction finale.
Une triste histoire dont il faut tirer des leçons
Les auteurs de l’étude soulignent que les mesures de protection du Courlis à bec grêle ont été entreprises beaucoup trop tard. Alors que le déclin de l’espèce avait été signalé dès le début du 20ème siècle, le risque de son extinction n’a été pris au sérieux que dans les années 1990. Un plan de sauvegarde du Courlis à bec grêle a alors enfin été mis en place… mais il avait probablement déjà disparu à ce moment, comme le rapporte cette étude.
Pour éviter l’extinction d’autres espèces de limicoles européens, les auteurs de l’étude appellent à des mesures ambitieuses de protection à l’échelle des grandes voies migratoires (protection globale des zones de nidification, des couloirs de passage migratoire, des sites de halte, et des zones d’hivernage), et mettent en garde contre l’inaction actuelle face aux nombreuses espèces d’oiseaux plus communes mais pourtant également menacées.
Une fois de plus, la nature nous démontre que le recul actuel des politiques environnementales est irresponsable de la part de nos dirigeants, et que le travail de la Ligue et des autres associations de protection de la nature est plus que jamais essentiel.
Références
(1) Buchanan, G. M., Chapple, B., Berryman, A. J., Crockford, N., Jansen, J. J. F. J., & Bond, A. L. (2024). Global extinction of Slender‐billed Curlew (Numenius tenuirostris). Ibis. https://doi.org/10.1111/ibi.13368
(2) Le Guide Ornitho, éditions Delachaux et Niestlé (2015)
(3) https://www.oiseaux.net/oiseaux/courlis.a.bec.grele.html
(4) https://www.birdlife.org/news/2024/11/18/new-publication-indicates-devastating-extinction-of-the-slender-billed-curlew/
(5) https://www.iucnredlist.org/
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