Les populations de loups sont en augmentation depuis plusieurs années en Europe. Bien que ce rétablissement soit l’un des rares signes encourageants concernant la biodiversité sur notre continent, le loup compte de nombreux opposants au sein de certaines franges de la population. À l’encontre de toute justification scientifique, et à rebours des actions indispensables pour la protection de la biodiversité européenne, les États membres de la convention de Berne ont approuvé le 3 décembre 2024 une réduction du niveau de protection du loup, proposée par la Commission Européenne. Peu avant cette triste décision, le Professeur Nicolas de Sadeleer a publié la carte blanche ci-dessous dans La Libre. Nous la reproduisons ici avec son aimable autorisation.
Brève histoire du loup en Europe
Pourchassé pendant des siècles, le loup a finalement disparu au cours du XIXe siècle de nombreuses régions d’Europe, et de Belgique en 1897. Sa raréfaction a conduit les Etats du Conseil de l’Europe à lui accorder un régime de protection strict dans le cadre de la Convention de Berne de 1979 sur la protection de la nature. Étant donné que l’UE et les 27 Etats membres sont parties à cet accord international, cette espèce a fait par la suite l’objet d’une protection stricte en 1992 en vertu de la directive Habitats de l’UE. Grâce à cette protection internationale, les populations de ce grand carnivore ont pratiquement doublé en dix ans, passant de 11 000 individus en 2012 à plus de 20 300 en 2023. Début 2024, la Belgique compterait quatre meutes. L’expansion continue de son aire de répartition de même que la colonisation de nouveaux territoires ont, par la force des choses, entraîné des difficultés locales et ponctuelles (prédation de 0.065% des 60 millions d’ovins dans l’UE).
Pressions du monde agricole et politique
Effarouchée par la fronde du monde agricole au printemps dernier à l’encontre des mesures agro-environnementales et de la loi européenne sur la restauration la nature, la Commission européenne, soutenue par le Conseil des ministres, a proposé au comité permanent de la Convention de Berne de revoir à la baisse le statut du loup. Du statut d’espèce « strictement protégée », il ferait l’objet à l’avenir de « mesures de gestion », lesquelles pourraient comprendre des mesures d’abattage plus systématiques. Le loup qui s’est introduit en 2023 dans un enclos de la propriété de famille de Mme von der Leyen, avant de tuer l’un de ses poneys, n’a manifestement pas plaidé la cause de ses congénères. A la suite de cette attaque, la Présidente de la Commission européenne a décrété de manière péremptoire que les meutes de loups constituaient un « réel danger » pour le bétail et, potentiellement, pour l’homme, alors que cette espèce ne considère pas l’être humain comme une proie potentielle.
Une proposition non justifiée scientifiquement
La modification qui sera proposée par l’UE (27 Etats membres) au Conseil de l’Europe (46 Etats parties) soulève plusieurs difficultés, notamment juridiques. Tout d’abord, les Etats membres doivent, en vertu de la directive Habitats, garantir aux espèces animales « sauvages d’intérêt communautaire » un « état de conservation favorable » qui implique, en bref, le maintien immédiat et à long terme de leur aire de répartition biogéographique. Ensuite, toute mesure qui entraîne une diminution du niveau de protection environnementale doit, conformément à une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’UE, être justifiée à la lumière des meilleures connaissances scientifiques disponibles. Or, malgré l’augmentation de ses populations à l’échelle continentale, le statut de conservation du loup ne serait pas favorable dans six des sept régions biogéographiques de l’UE.
Une mesure inappropriée à la situation
Mais, de manière plus fondamentale, en réclamant « sans autre forme de procès » l’abandon du régime de protection stricte, l’UE cherche à écraser une mouche avec un marteau pilon. En effet, que ce soit vertu de la Convention de Berne de 1979 ou de la directive Habitats de 1992, le statut de protection stricte d’une espèce sauvage n’est pas synonyme de protection absolue. En cas de dommages causés par des loups au cheptel domestique, les États membres peuvent autoriser, à titre dérogatoire, l’abattage des individus à l’origine des attaques. Cependant, l’octroi de ces dérogations est soumise à des conditions qui ont été interprétées strictement par les juridictions. En premier lieu, la mise à mort ne doit pas nuire au maintien de l’état de conservation favorable au niveau du territoire local et national de l’État membre. Ensuite, elle ne peut être décrétée que « s’il n’existe pas une autre solution satisfaisante », tels la construction de clôtures, la présence de chiens de berger, voire de bergers, tant que ces mesures n’impliquent pas des coûts économiques disproportionnés. A cet égard, on se souviendra qu’un Loup n’a « que les os et la peau ; tant les Chiens faisaient bonne garde » (J. de Lafontaine, Le loup et le chien). Aussi des mesures préventives ciblées peuvent-elles garantir la coexistence entre la vie sauvage et la vie rurale. Enfin, les dommages imputables au « grand méchant loup », à l’origine des attaques de moutons, qui trop hardis se seraient permis de « troubler son breuvage » (J. de Lafontaine, Le loup et l’agneau), ne doivent pas être futures ou hypothétiques.
Un bien mauvais signal, alors que la biodiversité s’effondre
Alors que de nombreuses espèces communes connaissent un déclin prononcé –que ce soit les étourneaux, les moineaux, les loirs,…- est-il judicieux d’assouplir les régimes de protection dès que certaines d’entre elles se portent mieux ?
Après que l’Union européenne ait accouché péniblement d’une loi sur la conservation de la nature, qui devrait permettre d’éviter l’échouage de l’arche de Noé, le déclassement du statut de protection du loup, symbole du réensauvagement de notre continent, constituera un dangereux précèdent. L’image « verte » que la nouvelle Commission européenne tente d’afficher auprès du public risque d’être ternie à tout jamais. Mais, somme toute, la raison du plus fort n’est-elle pas toujours la meilleure ? À méditer donc.
Nicolas de Sadeleer, professeur ordinaire, UCLouvain, Saint-Louis
(Carte blanche publiée dans La Libre le 3 décembre 2024, reproduite ici avec l’aimable autorisation de son auteur)