SA loup en belgique

Le retour des grands prédateurs dans nos régions

Une excellente nouvelle déjà menacée

Partager cet article

À l’heure où les tendances de la plupart des populations de grands carnivores se sont améliorées en Europe, nous devons leur permettre de réintégrer bon nombre de leurs anciens habitats, où désormais nous, les humains, vivons, pour leur offrir un avenir à long terme. Le retour des grands prédateurs est une excellente nouvelle pour la biodiversité mais comment parvenir à coexister avec de tels animaux lorsqu’une société toute entière a appris à organiser sa manière de vivre sans eux ? 

Etat des lieux dans nos régions

Dans cet article, les avantages écologiques des grands prédateurs seront abordés principalement à travers le prisme du loup, et dans une moindre mesure celui du lynx car ce sont les deux espèces de grands carnivores présents sur le territoire wallon. De plus, les actualités récentes inquiétantes concernant leur retour et leur statut légal sont liées à ces deux espèces.

Depuis quelques années, le loup est de retour dans nos forêts wallonnes après plus d’un siècle d’absence (dernier signalement datant de 1914). Après plusieurs observations d’un loup solitaire en automne 2016, il faut attendre janvier 2018 pour attester de la présence stable du loup, avec l’installation d’une première meute dans le Limbourg (Réseau Loup, 2024).

Au gré des saisons, des arrivées et des départs, des naissances et des accidents malheureux, le loup est revenu naturellement dans notre pays. Contrairement à d’autres espèces disparues puis réintroduites accidentellement ou volontairement par l’homme, le loup a retrouvé seul le chemin de nos contrées. Ce n’est donc pas une réintroduction mais bien un retour spontané.

À ce jour, la Wallonie compte trois meutes établies de façon permanente ainsi qu’une trentaine de loups dispersants (ceux qui n’ont été détectés qu’une seule fois ou sur une période très courte avant de rejoindre d’autres régions).

Carte de presence du loup en Wallonie

Carte de présence du loup en Wallonie à partir de mai 2023.

Lynx

Le lynx dans la vallée de la Semois

Le lynx boréal a quant à lui des racines belges, mais l’espèce s’est éteinte au niveau national il y a plus d’un siècle à l’instar du loup (Le lynx en Wallonie). Après de nombreuses observations à l’est du pays dans les années 90’s suivies d’une diminution inquiétante des preuves de présence, il a de nouveau été détecté au printemps 2020 dans la vallée de la Semois. 6 mois plus tard, il a été observé à plusieurs reprises dans la région, permettant de conclure à une installation permanente. Malheureusement, sans compagnie, le retour du lynx en Belgique n’est pas encore assuré à long terme. 

 

Récemment, à l’occasion de la journée internationale de la biodiversité, la WWF a publié une étude qui conclut que notre pays et ses régions limitrophes comportent de vastes zones d’habitat tout à fait propice à accueillir 75 lynx (WWF, 2024) ! Pour faciliter son introduction, la WWF travaille en collaboration avec des partenaires comme le Parc national de la Vallée de la Semois pour restaurer la connectivité, en aménageant par exemple des corridors de dispersion.

Le renversement observé dans les populations lupines et autres grands prédateurs à l’échelle européenne est dû à plusieurs facteurs. Au fil du temps, ces espèces ont été de moins en moins persécuté grâce, notamment, au changement progressif des mentalités ainsi qu’à un soutien juridique. En effet, depuis 1992, le loup possède un statut de protection légal, inscrit dans la directive Habitats et la Convention de Berne à l’international (Koch, 2020).

À peine de retour et déjà menacés

Malgré leur retour réussi, la vie n’est pas simple pour les loups en Belgique. De toutes les portées, plusieurs louveteaux sont morts : rien qu’en Flandre, une dizaine ont déjà perdu la vie. En cause : les accidents de la route, principale menace pour les loups en Belgique. La Flandre, en particulier, est quadrillée de routes : on en compte cinq kilomètres par kilomètre carré, ce fragmente inévitablement leur habitat (WWF, 2022).

En Wallonie, fin mars 2024, c’est la dépouille de la louve Maxima (la femelle du couple à l’origine de la meute du Nord des Hautes-Fagnes) qui a été retrouvée, victime certaine d’une collision avec un véhicule (Réseau Loup, 2024). Cette disparition est symptomatique de la pression anthropique que subissent les grands prédateurs de retour au sein d’un territoire naturel belge qui s’est fragmenté.

D’autre part, le retour du loup dans des régions de l’UE où il était absent depuis longtemps et l’augmentation de ses populations dans de nouveaux territoires a entraîné des difficultés et des conflits avec les agriculteurs et les chasseurs, en particulier lorsque les mesures de prévention des dommages en cas d’attaques de bétail ne sont pas pleinement mises en œuvre.

C’est la raison principale pour laquelle les grands prédateurs, aussi peu nombreux soient-ils, sont aussi dans le viseur de plusieurs mouvements à l’échelle nationale et européenne.

Fin 2023, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a proposé aux États membres de l’UE de fragiliser le statut de protection du loup, et ce malgré l’absence de données scientifiques justifiant une décision aussi radicale (Commission européenne, 2023). La proposition de la Commission consiste à descendre le statut de protection du loup d’une “protection stricte” à une « protection simple », plus souple et permettant d’éliminer plus facilement, notamment en instaurant des quotas de chasse, les loups considérés par certains comme étant en trop grand nombre dans certaines régions.

Proposition de la Commission Européenne

À la suite d’une grande campagne commune et d’une pétition appelant à rejeter cette proposition, onze ONG ont écrit dans une lettre ouverte datée du 8 mai que cette décision « est clairement une volte-face motivée par des considérations politiques ». « Nous sommes très préoccupés par le fait que le débat sur cette question a été jusqu’à présent largement dominé et dirigé par les intérêts de l’agriculture et de la chasse », peut-on lire dans la lettre (RTL Info, 2024).

À l’heure actuelle, même si le sujet a été abordé durant une réunion des ambassadeurs de l’UE qui s’est tenu le 15 mai, aucune décision définitive n’est à espérer dans un futur proche.

Article

Côté belge, le RSHCB (Royal Saint-Hubert Club de Belgique) a déjà pris la parole à ce sujet dans un billet d’humeur écrit par Monsieur Guy Paternotte, paru dans le numéro de février de leur revue « Chasse & Nature ». Entre mauvaise foi, chiffres faussés et arguments financiers, la crainte pour le loup se confirme quand on voit l’aversion dont certains chasseurs font déjà preuve envers ce nouveau prédateur, qu’ils considèrent comme leur concurrent.

Côté français, le nouveau “Plan national d’actions” (PNA) pour la conservation du loup, publié par l’Etat à la veille de l’ouverture du Salon de l’Agriculture, appuie la volonté de l’UE de rabaisser le niveau de protection du grand prédateur en facilitant  encore plus le tir de loups, tout en renforçant les aides à l’élevage.

Enfin, outre le cas du loup, une association de chasseurs du Doubs exprime, à travers une lettre officielle, la volonté de pouvoir réguler le lynx, espèce pourtant strictement protégée et menacée d’extinction en France.

L’importance écologique des grands prédateurs

Les retour des grands prédateurs chez nous, déjà vivement décrié, n’est pas qu’une question de conservation mais constitue bien une aubaine pour nos écosystèmes naturels et pour les services que ceux-ci rendent à l’Homme. Le cas du loup dans nos régions en est la preuve. Malgré la menace qu’ils font peser sur les élevages, ils contribuent à maintenir l’équilibre naturel et à soutenir la diversité de la vie sauvage. Il est donc non négociable de les protéger et de leur permettre de remplir leur rôle vital dans nos forêts européennes. 

En Wallonie, environ 50 000 animaux sont abattus chaque année par les chasseurs, laissant les forêts dépourvues de ces carcasses (WWF-Belgique, 2024). Contrairement à cela, les loups abandonnent leurs proies sur place, fournissant ainsi une source de nourriture pour d’autres espèces et favorisant la biodiversité. Par exemple, la mésange trouve dans ces restes de graisse une ressource précieuse, surtout en hiver.

loup

Les loups, aux côtés des lynx, jouent le rôle de régulateurs naturels des populations de prédateurs intermédiaires tels que les martres, les renards et les ratons laveurs. Cela permet à de plus petits animaux, comme les tétras lyres, de prospérer plus aisément.

La présence de loups pousse les herbivores à éviter les zones denses en bois mort et en petits arbustes, car ces endroits sont difficiles pour échapper aux prédateurs. Cela permet à la forêt de se régénérer sans être constamment piétinée ou broutée.

Des études aux États-Unis ont démontré que les herbivores évitent les zones proches des routes pour échapper plus facilement aux loups, réduisant ainsi le nombre d’accidents de la route impliquant des animaux sauvages. Cette diminution des accidents a permis des économies importantes pour les compagnies d’assurance, le bénéfice étant 63 fois supérieur au coût des compensations pour les pertes d’élevage causées par les loups.

Les loups, grâce à leur endurance, poursuivent leurs proies sur de longues distances, attrapant principalement les animaux malades, faibles ou âgés. Cette chasse sélective améliore la santé globale des populations d’herbivores, réduisant ainsi la propagation des maladies et renforçant l’écosystème.

Conclusion

Cette nouvelle coexistence avec la vie sauvage a encore beaucoup de choses à nous apprendre. Mais, contrairement à nos voisins Néerlandais, la réactivité de la Belgique face à ce retour couronne déjà l’aventure de succès. En effet, grâce à de nombreuses initiatives comme le Réseau Loup du Gouvernement wallon pour le suivi des populations ou l’association Wolf Fencing Team, les troupeaux sont mieux protégés par des clôtures efficaces qui permettent de rassurer les éleveurs et éleveuses. Une étude récente montre qu’en 2023, malgré l’augmentation des populations de loups, la prédation sur les élevages a diminué de 48% par rapport à 2022 (WWF-Belgique, 2024). Les arguments avancés par les nombreux détracteurs des grands prédateurs peuvent donc être mis au placard. 

De façon générale, sans se cantonner à l’exemple du loup, la cohabitation avec les grands prédateurs est donc tout à fait possible et souhaitable tant leur rôle sur nos écosystèmes est important. Leur régulation serait quant à elle la pire des options mises sur la table pour cohabiter avec ces nouveaux prédateurs.

Bibliographie

Articles scientifiques

Koch, Mathieu. L’encadrement juridique des grands carnivores en Wallonie à travers le prisme du loup (canis lupus). Faculté de droit et de criminologie, Université catholique de Louvain, 2020. Prom. : Thiebaut, Christophe. https://dial.uclouvain.be/memoire/ucl/object/thesis:26712

Site internet 

Commission Européenne (20/12/2023). Communiqué de presse : La Commission propose de modifier le statut international du loup, qui passerait de «strictement protégé» à «protégé», sur la base de nouvelles données relatives à l’augmentation des populations et aux incidences. Consulté le 05/06/2024 sur : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_23_6752

Commission Européenne (NA). Large carnivores. Consulté le 05/06/2024 sur : https://environment.ec.europa.eu/topics/nature-and-biodiversity/habitats-directive/large-carnivores_en#documents–useful-links

Large Carnivore Initiative for Europe (LCIE) (2013). Un manifeste pour la conservation des grands carnivores en Europe; Consulté le 05/06/2024 sur : https://lciepub.nina.no/pdf/636943032930819748_LCIE_Manifesto_FR.pdf

RTL Info (19/03/2024). Loup: les ONG plaident pour maintenir le statut de protection dans l’UE. Consulté le 05/06/2024 sur : https://www.rtl.be/actu/magazine/animaux/loup-les-ong-plaident-pour-maintenir-le-statut-de-protection-dans-lue/2024-03-19/article/649731

Service Public de Wallonie (mise à jour le 18/04/2024). Réseau Loup wallon. SPW. Consulté le 04/06/2024 sur : http://biodiversite.wallonie.be/fr/le-reseau-loup.html?IDC=6418

Service Public de Wallonie. Le lynx en Wallonie. SPW. Consulté le 04/06/2024 sur : http://biodiversite.wallonie.be/fr/lynx-lynx.html?IDD=50333995&IDC=602

WWF-Belgique (2024). Assurer l’avenir du loup sur le territoire belge. Consulté le 05/06/2024 sur : https://wwf.be/fr/projets/le-retour-du-loup-en-belgique

WWF-Belgique (2024). Un avenir pour le lynx en Belgique. En ligne sur : https://wwf.be/fr/publicatie/un-avenir-pour-le-lynx-en-belgique

WWF-Belgique (2022). De nouvelles de nos loups en Belgique. Consulté le 05/06/2024 sur : https://wwf.be/fr/actualites/des-nouvelles-de-nos-loups-en-belgique

Lire nos autres articles