La sensibilité animale et la loi sur le bien-être des animaux.

Pour la France, l’animal n’est plus sur le plan légal une « chose ». Comme d’autres pays, elle considère depuis 2015 dans son Code civil (Loi n° 2015-177 du 16 février 2015, article 2) que « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité ».

Le Code rural et le Code pénal français avaient d’ailleurs déjà une plus haute considération de l’animal que le Code civil. La Ligue française pour la Protection des Oiseaux (LPO) a exprimé à ce sujet une réserve : 

« La LPO n’est pas naïve quant à la portée réelle de cette nouvelle disposition, laquelle doit mettre en place des conditions favorables à une réelle amélioration de la condition animale. 

Ne boudons pas notre plaisir néanmoins : ce changement peut mener à une évolution des mentalités ». Et elle souligne que, si cette loi n’apporte aucune avancée réelle pour les animaux sauvages, elle favorise l’objectif « de reconnaître enfin qu’un animal sauvage n’est pas un objet, qui n’appartiendrait à personne et qui n’aurait aucune sensibilité. Ce pas supplémentaire obligera à interroger les actes gratuits de cruauté envers la faune sauvage ». 

Ce principe qui reconnaît la sensibilité animale dans le Code civil français devrait faire évoluer la jurisprudence et les mentalités ainsi que, par la suite, la condition animale et les lois qui protègent les animaux en général et la faune sauvage en particulier. Par exemple, il faut reconnaître officiellement que le bien-être pour un animal sauvage c’est de ne pas souffrir « inutilement » en étant exposé à la douleur infligée par les pratiques humaines, qu’elle soit physique ou psychique ; c’est aussi de permettre aux animaux sauvages de vivre, conformément à leur biologie, des comportements sociaux non déstructurés dans leurs biotopes naturels.

La reconnaissance de la sensibilité animale dans le Code civil afin d’induire des pratiques plus respectueuses envers les animaux devrait également être introduite en Belgique. Elle devrait s’accompagner en Wallonie d’une application stricte de la  loi relative au bien-être des

animaux, qui s’applique aussi aux animaux sauvages et à la chasse.

14 août 1986 – Loi relative à la protection et au bien-être des animaux.

Art. 1er : « Nul ne peut se livrer, sauf pour des raisons de force majeure, à des actes non visés par la présente loi, qui ont pour conséquence de faire périr sans nécessité un animal ou de lui causer sans nécessité des lésions, mutilations, douleurs ou souffrance ».

Art. 3 : « Pour l’application de la présente loi, il faut entendre par :  

13. Mise à mort : tout acte par lequel il est mis fin volontairement à la vie d’un animal ».

Art. 15 : « Un vertébré ne peut être mis à mort que par une personne ayant des connaissances et les capacités requises et suivant la méthode la moins douloureuse. Sauf cas de force majeure ou de nécessité, il ne peut être mis à mort sans anesthésie ou étourdissement. 

Lorsque la mise à mort sans anesthésie ou étourdissement d’un vertébré est tolérée dans le cadre de la pratique de la chasse ou de la pêche ou en vertu d’autres pratiques légales, ou lorsqu’elle rentre dans le cadre de la législation contre les organismes nuisibles, la mise à mort peut seulement être pratiquée par la méthode la plus sélective, la plus rapide et la moins douloureuse pour l’animal ».

La révision de la loi sur la chasse  

L’écologie scientifique a établi que tous les animaux sauvages remplissent une fonction utile dans les écosystèmes en équilibre naturel,

c’est-à-dire qu’aucun animal n’y est nuisible à l’autre, pas plus un prédateur à sa proie qu’inversement.

Une révision de la loi sur la chasse en Wallonie devrait tenir compte de ces deux réalités : la sensibilité animale et l’écologie des milieux naturels. Une proposition de résolution déposée au Parlement wallon en 2003 à l’occasion d’un débat relatif à la chasse (1) reflétait déjà ces deux préoccupations.

Le Grand-duché du Luxembourg est exemplaire à cet égard. La loi sur la chasse y a été totalement réécrite en 2011 afin de l’inscrire dans le cadre d’une gestion durable et intégrée de la faune. Ses deux premiers articles en donnent les principes :

Art. 1er : « L’exercice de la chasse se fait dans le respect de la gestion durable et écologique des populations de la faune sauvage classée gibier dans l’intérêt de la protection de la nature, de la diversité biologique et de la conservation de la faune et de la flore sauvages, ainsi que de la prévention des épizooties. »

Art. 2 :  « L’exercice de la chasse doit répondre à l’intérêt général et aux exigences d’un développement durable. Il doit contribuer à garantir la pérennité de la faune et de la flore sauvages et de leurs habitats naturels et garantir les activités sylvicoles et agricoles, en permettant une gestion des forêts proche de la nature et en prévenant les dégâts de gibier aux surfaces agricoles et sylvicoles ». 

Lionel Delvaux (Inter-Environnement Wallonie) précise (2) : « La faune sauvage y acquiert le statut de res communis et sa gestion passe par un conseil consultatif de la chasse composé de manière équilibrée des administrations, des secteurs agricole, forestier, cynégétique et environnemental. Cette révision de la Loi sur la chasse a bien évidemment interdit tout nourrissage artificiel de la faune sauvage ». 

L’interdiction, depuis 1974,  de la chasse de loisir dans le Canton de Genève en Suisse est un autre exemple pertinent de respect de la nature et de l’animal sauvage.

La chasse est un acte consommateur de nature parmi d’autres. Plutôt que de détériorer celle-ci par ses excès, elle devrait contribuer, en concertation avec les autres acteurs de la ruralité, à la sauvegarde durable de ce bien commun.

La réglementation wallonne à propos de la chasse est étendue et compliquée. La vérification de son application est difficile. Les transgressions sont multiples. La proposition de résolution déposée au Parlement wallon en conclusion du débat sur la chasse en 2003 est restée lettre morte. Elle concluait « qu’il n’y a de véritable chasse que lorsque l’on considère l’animal chassé comme un animal capable de se défendre et ayant pu se développer, se déplacer, s’alimenter et se reproduire dans des conditions naturelles ».  

Tous ces éléments indiquent qu’il est nécessaire et réaliste de revoir la loi relative à la chasse qui date de 1882. Elle devrait être plus compréhensible dans son texte, en ligne avec l’évolution de la mentalité de la très grande majorité des citoyens, facilement applicable en pratique et soumettre les territoires de chasse à une gestion durable et équilibrée (et non artificielle) de toute  la faune indigène et de ses biotopes.

Il devrait être mis fin aux graves dérives de la chasse de loisir. Il s’agit essentiellement du nourrissage (cas du sanglier et indirectement d’autres animaux qui en profitent également)  et des lâchers dans la nature (cas du faisan, de la perdrix, du colvert …) qui visent avant tout à la multiplication des populations de gibier, au détriment de la faune sauvage, afin d’augmenter artificiellement les tableaux de chasse.

Voici, selon la LRBPO, quelques principes qui devraient guider cette évolution.

1. Partir de l’idée que tous les animaux sauvages sont protégés. Aucune  espèce animale ne peut plus être chassée, si ce n’est par dérogation locale, justifiée et  limitée dans le temps.

2. La loi sur la chasse en Wallonie énumère les animaux classés en catégorie « gibier ». Elle contient nombre d’espèces qui sont aujourd’hui protégées et/ou en voie de disparition. Cette liste des espèces classées gibier devrait être revue et drastiquement réduite. La règle doit être la protection généralisée et l’exception le classement en gibier. Par exemple, une liste des espèces chassables serait établie tous les 3 ans. Une espèce pourrait alors être régulée si l’absence de prédateurs naturels est constatée, menant à une prolifération de l’espèce et entraînant à son tour une dégradation de l’environnement.

3. La loi ne doit plus être agencée comme aujourd’hui afin de servir à une activité de délassement. En conséquence, la chasse devrait être limitée à l’élimination des seuls animaux qui causent des préjudices locaux aux écosystèmes naturels, à la sylviculture et à l’agriculture, pour autant qu’il n’y ait  pas d’autres moyens réalistes (comme la capture et la remise en liberté ailleurs) d’atteindre le même objectif.

4. La chasse doit être exercée sous le contrôle du Département Nature et Forêts de la Région wallonne (DNF). Dans ce cadre, les moyens humains, scientifiques et matériels du DNF et de l’Unité anti-braconnage devraient être renforcés. Seules les personnes habilitées, selon des modalités fixées par la loi, seraient en droit de chasser sous les directives et le contrôle du DNF.

5. Sauf en cas de circonstances exceptionnelles, comme un hiver extrêmement rude, le nourrissage de la faune doit être strictement interdit, afin de limiter la croissance importante et totalement artificielle de certaines populations d’animaux, comme celle du sanglier et des cervidés. Cela favorisera la sélection naturelle des animaux les plus forts et les plus résistants, qui sont les mieux adaptés aux conditions naturelles locales, et cela réduira considérablement les dégâts agricoles, sylvicoles et aux écosystèmes naturels occasionnés par un gibier artificiel et surdensitaire.

6. Les modes de chasse les moins douloureux pour le gibier doivent être privilégiés, c’est-à-dire les plus sélectifs et les plus discrets, conformément à la loi sur le bien-être animal du 03 décembre 1986. Ce sont la chasse à l’affût ou à l’approche. Lorsque des plans quantitatifs de prélèvement doivent nécessairement être appliqués, le recours à la battue silencieuse devrait s’appliquer. La chasse à la battue bruyante, non sélective, doit être abandonnée.

7. Afin de limiter la souffrance animale et de ne pas perturber les mécanismes régulateurs naturels, certaines pratiques anachroniques doivent être interdites, sauf dérogation : l’usage de pièges et de collets qui sont douloureux et non sélectifs, le piégeage ou le tir de tout prédateur, les autorisations non justifiées de destruction de certaines espèces.

8. Les dérogations à l’application de la Directive oiseaux qui sont accordées par l’autorité publique pour la prévention des dommages importants aux cultures doivent être limitées et systématiquement rendues publiques.

9. Le tir du renard doit être interdit car il est inutile (un renard tué est systématiquement remplacé par un jeune venant d’un autre territoire) et contribue à favoriser  la circulation et la transmission de maladies. C’est une exigence sanitaire.

10. Le tir d’animaux pendant leur période de reproduction doit être proscrit : en tuant un adulte, le chasseur fait indirectement mourir de faim toute la portée.

11. Toute pratique de chasse doit être interdite le dimanche ou les jours fériés ; la nuit et sans allongement d’une heure avant le lever ou après le coucher du soleil ; en cas de gel tenace ou en période estivale de longue durée extrêmement pluvieuse, ou caniculaire, qui limite la reproduction naturelle de la faune.

12. Les cartouches contenant du  plomb doivent être proscrites. Il faut revoir l’arrêté du Gouvernement wallon du 22 septembre 2005 qui  permet encore  l’emploi de la grenaille de plombs partout, sauf à moins de 50 mètres des marais, lacs, étangs, réservoirs, fleuves, rivières et canaux, où l’utilisation de cartouches à plombs nickelés reste malgré tout autorisée. Il faut mettre fin à ce polluant non nécessaire, encore d’usage dans nos campagnes.

13. Une participation significative de scientifiques naturalistes dans le suivi des populations animales et de gibier est nécessaire.

Conclusions

La LRBPO est d’avis que les larges dérives de la chasse de loisir, dues à la « gestion cynégétique », doivent être interdites rapidement, à l’exemple de la législation telle que revue récemment au Grand-duché de Luxembourg. Ces dérives sont  essentiellement : le nourrissage intensif (sanglier, etc.), les introductions d’animaux d’élevage et/ou importés (faisans, perdrix, colverts, etc.), l’absence de suivi scientifique continu des populations de gibier, l’éventuelle absence de plans de tir, le tir non sélectif, les dérogations de destruction distribuées trop généreusement, l’absence de moratoire de la chasse afin de permettre au gibier de se  reconstituer naturellement (exemple de la Perdrix grise), le tir des oiseaux migrateurs (Bécasse des bois, Sarcelle d‘hiver, etc).

La LRBPO demande l’application de l’article 15 de la  loi sur le bien-être animal et demande l’interdiction de la chasse à la battue non silencieuse, qui est non sélective.

A moyen terme, la loi sur la chasse devrait idéalement être remplacée par une « loi sur la conservation de la nature » qui engloberait la réglementation relative à la chasse. Les mots « espèces gibier » devraient être remplacés par les mots « espèces soumises à régulation », dont l’abondance est la cause de dommages aux milieux naturels, à l’agriculture et à la sylviculture et contre lesquelles il est difficile de se prémunir en l’absence de prédateurs naturels. La liste des espèces à régulation indispensable devrait être déterminée périodiquement par le Gouvernement wallon après consultation régulière du « Conseil  Supérieur  Wallon de Conservation de la Nature » ou d’un autre organisme réunissant les différents protagonistes de la ruralité. Les quantités à prélever annuellement seraient fixées par le Département Nature et Forêts qui les répartirait par cantonnement selon les nécessités.

Notons encore qu’il serait cohérent que les matières et les compétences relatives à l’environnement, à la protection de la nature, à la bientraitance animale et à la chasse soient regroupées dans un même ministère et au sein d’une même administration de la Région wallonne. Nul doute que cela favoriserait un meilleur dialogue à propos de matières liées mais aujourd’hui compartimentées, ainsi qu’une une simplification administrative et opérationnelle.

Enfin, bien que quelque peu en  dehors du contexte de la chasse, rappelons que les milieux agricoles cultivés sont devenus des déserts écologiques du fait de l’agriculture intensive qui y est menée et de la disparition des terres au profit des lotissements résidentiels, commerciaux ou industriels ou des infrastructures routières. La disparition de l’avifaune et des petits mammifères y est hallucinante, non seulement en Wallonie, mais dans toute l’Europe. Une restauration de  biotopes naturels y est nécessaire, e.a. par  la plantation de lignes de haies vives et l’amplification des mesures agro-environnementales, plutôt que d’introduire dans les plaines des animaux d’élevage (faisans, perdrix) afin de les chasser et de tuer les petits prédateurs naturels.