SA perdris grise

La chasse à la perdrix

Prétendu sauvetage ou alibi pour un loisir mortifère ?

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Avril 2025. Les représentants wallons du monde de la chasse (1) rendent un avis sur l’avant-projet du Gouvernement wallon destiné à devenir l’arrêté fixant les dates d’ouverture, de clôture et de suspension de la chasse pour les cinq années cynégétiques à venir (2). Rien de tel pour sonder les arguments invoqués en faveur de cette pratique et vérifier si, comme le soutiennent ses adeptes, celle-ci vise véritablement à « réguler » – voire même à « sauver » – la nature et les trésors qui y sont abrités.

Dans cette perspective, l’une des revendications phares des chasseurs est à l’examen : leur prétendu « sauvetage » de la perdrix grise. Nous verrons que la chasse à cet oiseau, qui est en danger sur le territoire wallon (3), illustre une double crise frappant notre société en plein cœur : une crise axiologique – autrement dit fondée sur notre système de valeurs –, ainsi qu’une crise politico-juridique

Une crise axiologique : qu’est-il sérieusement souhaitable pour une espèce en danger ?

La perdrix grise n’est pas seulement en danger : la tendance de ses populations wallonnes est, en outre, à la baisse (4). La destruction de son habitat, notamment en raison de l’agriculture intensive, en est sans doute la principale cause (5). 

C’est dans ce contexte que les chasseurs se proclament défenseurs de la perdrix (6), allant jusqu’à se dire « au chevet » de l’espèce (7). Avec quel degré de conviction ? Mystère. 

Le fait est que l’attribution du droit de chasser une espèce aussi vulnérable interpelle, de même que se prétendre au chevet d’un être vivant, tout en réclamant le droit de tirer dessus pour assouvir son appétit cynégétique.

Car c’est – précisément – ce à quoi se résume le premier argument de la Section Chasse : il n’y aurait que deux alternatives, ou bien laisser les chasseurs « restaurer » l’habitat de la perdrix, tout en leur donnant le droit d’en éliminer, ou bien fermer la chasse, ce qui conduirait à la disparition de l’espèce car, selon elle, plus personne ne se souciera de son habitat.

Ce dilemme n’est, en réalité, qu’un vil trompe-l’œil. Non seulement d’autres solutions/obligations existent – comme nous le verrons plus loin –, mais surtout, rien n’empêche les chasseurs de mettre en place des aménagements dans l’intérêt de leur « bien »aimée, tout en agissant sur la prédation naturelle subie par celle-ci, en supposant que cette prédation soit, en tant que telle, le problème. 

Loin de cette solution bien plus signifiante, l’obsession des chasseurs pour l’emblématique hôte des plaines s’apparente davantage – en recourant à un langage à peine imagé – à du parasitisme, tant il est clair que tirer dans une espèce en danger, au prix d’un investissement purement intéressé, est une bien curieuse façon de lui venir en aide.

La question s’impose : est-ce vraiment cela que nous – citoyens et élus wallons – souhaitons pour « nos » oiseaux en danger ? Les confier à de prétendus « conservateurs » qui auraient le droit de tirer dedans une fois leurs bas instincts réveillés ?

Une crise politico-juridique : des manquements flagrants combinés à des arguments d’une vacuité abyssale

N’oublions pas que la reconnaissance de l’urgence de la situation et de la nécessité de préserver la perdrix et son habitat résulte non pas de ses soi-disant « chevaliers servants », ni même de la Région wallonne, mais bien du combat acharné mené par la Ligue devant le Conseil d’État (8).

Il y a six ans, c’est la Justice, sous l’impulsion de la Ligue, qui a conduit à ce que la chasse à la perdrix soit conditionnée à l’adoption de plans de gestion visant, à tout le moins, à en permettre une « chasse durable » (9).

Depuis lors, la Région wallonne a donc (re)confié cette mission aux chasseurs moyennant ces fameux plans de gestion. Pour quels résultats ? Mystère là encore, si ce n’est qu’aux dernières nouvelles, la situation de l’espèce ne s’est pas améliorée, que du contraire (10).

Le monde de la chasse et la Région wallonne étaient-ils « au chevet » de la perdrix lorsqu’ils se sont retrouvés devant le juge et que ce dernier a imposé la mise en place de plans de gestion (10) ?

Étaient-ils « au chevet » de la perdrix, lorsqu’ils se sont retrouvés, une fois encore, face au juge et que ce dernier a déclaré certains plans de gestion illégaux, notamment au vu de l’insuffisance des aménagements proposés par les chasseurs, et approuvés par la Région wallonne ; ces aménagements n’étant, au final, que de la poudre aux yeux (11) ? 

Sont-ils « au chevet » de la perdrix, en n’assurant aucun suivi scientifique et objectif de l’évolution des populations wallonnes, fondant ainsi toute une politique sur l’incertitude, laquelle devrait justement profiter à l’espèce, et pas l’inverse ?

Les manquements s’accumulent… Malgré cela, la Section Chasse s’obstine à entraîner la Région wallonne dans sa chute morale, avançant toutes les deux, au pas d’Echternach, vers une disparition de plus.

Le pire, c’est que le Gouvernement wallon connaît depuis bien longtemps la situation. Dans une question parlementaire du 5 décembre 2014, posée il y a donc plus de dix ans, un député wallon dressait le constat suivant : 

« La perdrix grise est en constant déclin depuis une cinquantaine d’années au point d’avoir disparu d’une partie importante de son aire de répartition. Les causes de sa disparition sont connues : disparition des habitats, manque de nourriture dans les monocultures, pratiques agricoles et présence de prédateurs. Elle est ainsi considérée par la Wallonie comme étant une espèce menacée et vulnérable. Pour éviter qu’elle ne disparaisse, la piste d’une interdiction de sa chasse a été avancée, mais rejetée, car les chasseurs, constitués en associations cynégétiques, seraient indispensables pour sauver l’espèce » (12).

perdrix grise

Il est grand temps de changer de stratégie. 

Et à ce titre, mettons le Gouvernement wallon face à ses responsabilités : au lieu de se reposer sur l’investissement intéressé des chasseurs, qu’il se conforme, une bonne fois pour toute, aux exigences du droit de l’UE découlant de la directive « Oiseaux » et l’obligeant : 

  • à « prendre toutes les mesures nécessaires pour préserver, maintenir ou rétablir une diversité et une superficie suffisantes d’habitats pour toutes les espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen » (article 3, alinéa 1er) ; 
  • à faire en sorte que « la chasse de ces espèces ne compromette pas les efforts de conservation entrepris dans leur aire de distribution » (article 7, § 1er).

Que ce soit devant les juridictions nationales ou la Cour de justice de l’Union européenne, la Région wallonne ne pourra plus échapper à ses obligations bien longtemps.

Et pour s’y conformer, elle ne pourra pas se retrancher derrière l’exemple du canton de Genève, où la perdrix aurait disparu malgré l’interdiction de la chasse. 

L’argument n’est, en effet, qu’un leurre : l’espèce n’y a pas disparu en raison de la fermeture de la chasse, mais bien parce que « quand le projet de conservation a été lancé, il était déjà trop tard », et parce que le « périmètre du projet (seulement quelques kilomètres carrés) » était trop « restreint » (13).

Ainsi, sans politique de conservation et de restauration ambitieuse, la Région wallonne risque, elle aussi, d’échouer. Et ce n’est pas en « refourguant » cette mission à une multitude de conseils cynégétiques éparpillés sur le territoire wallon, sans aucune vision globale et cohérente de la question, qu’elle y arrivera, et encore moins au vu des « antécédents judiciaires » précités.

Gageons que la récente condamnation du Gouvernement flamand pour manquement à la protection du hamster sauvage, qui peine face à la réduction de son habitat, serve de  dernier  avertissement (14).

Et gageons, enfin, que la Région wallonne n’oublie pas ses autres alliés dans ce combat (15)…

Références

  1. À travers la Section Chasse du Pôle Ruralité du Conseil économique, social et environnemental de Wallonie (CESE Wallonie).
  2. https://www.cesewallonie.be/sites/default/files/uploads/avis/RUR.25.0507.AV-Chasse%20%28AGW%20quinquennal%202025-2030%29.pdf. 
  3. La Liste rouge des oiseaux nicheurs menacés en Wallonie en 2021, Aves 58/2, 2021, 67-88.
  4. Ibid.
  5. https://protectiondesoiseaux.be/2021/09/14/le-plan-perdrix
  6. Avis de la Section Chasse, n° 25.0507, 8 avril 2025, p. 6. 
  7. Revue Chasse Nature, mars 2025.
  8. Voy. not. C.E., arrêt LRBPO, n° 253.411 du 30 mars 2022 ; C.E., arrêt LRBPO, n° 249.780 du 9 février 2021.
  9. Voy. not. C.E., arrêt LRBPO, n° 245.927 du 25 octobre 2019.
  10. La Liste rouge des oiseaux nicheurs menacés en Wallonie en 2021, Aves 58/2, 2021, 67-88.
  11. C.E., arrêt LRBPO, n° 261.961 du 10 janvier 2025 ; C.E., arrêt LRBPO, n° 261.962 du 10 janvier 2025 ; C.E., arrêt LRBPO, n° 261.963 du 10 janvier 2025 ; C.E., arrêt LRBPO, n° 261.964 du 10 janvier 2025 ; C.E., arrêt LRBPO, n° 261.965 du 10 janvier 2025 ; C.E., arrêt LRBPO, n° 261.967 du 10 janvier 2025.
  12. https://www.parlement-wallonie.be/content/print.php?print=interp-questions-voir.php&iddoc=57530&type=32.
  13. https://www.tdg.ch/le-sauvetage-de-la-perdrix-grise-se-solde-par-un-echec-566889057309.
  14. https://www.lesoir.be/672775/article/2025-05-02/le-gouvernement-flamand-condamne-pour-manquement-la-protection-du-hamster.
  15. Par exemple, c’est en partenariat avec l’Université de Liège, l’Institut des Sciences Naturelles de Bruxelles, WWF Belgique et d’autres structures, que le Service Public de Wallonie a lancé un programme de renforcement de la population du Tétra lyre pour « tenter d’empêcher la disparition totale » de l’oiseau en Belgique, voy. Revue L’Homme et l’Oiseau, 2-2025, « Tétras-lyre », pp. 22 et s

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Note : grâce, notamment à l’action de la Ligue, la Perdrix grise ne sera pas chassable cette saison.

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