SA accenteur

Accenteur et Troglodyte

une infidélité toute naturelle

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La présentation de ces deux oiseaux s’imposait car ils sont communs dans nos jardins et malgré tout souvent mal connus. Le hasard a voulu que ces deux espèces ont des comportements sexuels non traditionnels comme l’entend la morale humaine : une bonne reproduction prenant ici le pas sur une sagesse inconnue dans la Nature…

Les personnes qui aiment regarder les oiseaux dans leur jardin, sans être des ornithologues de terrain avertis, sont certainement à même de dissocier l’Accenteur mouchet (Prunella modularis) ou le Troglodyte mignon (Troglodytes troglodytes) d’autres espèces tout aussi communes près des habitations. Mais ont-elles percé le mystère de leur vie sociale, de leur comportement biologique de reproduction, de leur sens de la territorialité ou de leur adaptation à leur milieu en toutes saisons ?

Cette succincte monographie relative à ces deux espèces très différentes par leur silhouette, mais si proches par leurs allures furtives et discrètes ou par leur plumage modeste, lève quelque peu le voile sur leur vie secrète et sur les origines de leur appellation.

L'Accenteur mouchet : un moineau qui n'en est pas un

Espèce européenne polytypique, l’Accenteur mouchet est répandu sous sa forme nominale dans la majeure partie du centre et du nord du Continent. En Belgique, il est généralement considéré comme nicheur commun car il trouve un peu partout (sauf en plaine) un site de nidification modeste qui lui conviendra : végétation basse et dense, recouvrant un sol dégagé.

accenteur mouchet

L’Accenteur mouchet est présent dans nos parcs et jardins tout au long de l’année. Des individus migrateurs d’origine scandinave l’y rejoignent en hiver.

L’espèce est liée aux broussailles où elle construit son nid à faible hauteur, bien dissimulé. Son habitat peut donc être constitué par une simple haie de troènes ou d’aubépines, mais sa préférence se porte vers les taillis denses, les buissons et les fourrés de ronces.

L’Accenteur mouchet est partout un commensal de l’homme, commun dans les parcs, les cimetières et les jardins où l’architecture « verte » y a imposé les conifères ornementaux. Dans la plupart des grandes villes d’Europe Occidentale, il a colonisé le centre des agglomérations, s’établissant dans des zones exiguës : mur couvert de lierre, cour avec quelques arbres ou arbrisseaux, talus de chemins de fer, mais fuyant les hautes futaies. En forêt, il est présent en très petite quantité dans des zones de clairières ou en lisière, évitant le cœur de la forêt proprement dite, sauf près de l’habitation isolée d’un forestier.

Vêtu de brun châtain rayé de noir dessus et gris ardoisé bleuté dessous, cet oiseau n’a rien qui retienne le regard, ni dans sa silhouette, ni dans son plumage, menant une vie effacée à terre ou dans les buissons où il reste prudemment à l’abri. Pourtant, il est remuant, parcourant sans hâte son petit domaine en picorant activement, fouillant les feuilles mortes à coups de bec, explorant les moindres recoins. A petits pas ou en sautillant, il se promène, le corps presque horizontal. Ses ailes sont secouées de tressaillements nerveux, caractère visuel qui doit le distinguer automatiquement du Moineau domestique ou du Friquet dont il a la taille.

 

accenteur

L’Accenteur mouchet a un bec fin, ce qui le classe parmi les insectivores. Mais, en hiver, son régime s’adapte aux graines et aux baies sauvages.

On le prend tantôt pour une Fauvette, à cause de son bec fin et pointu, et parce qu’il se faufile agilement dans les buissons, tantôt pour un Moineau, du fait de ses couleurs neutres et de son aspect un peu lourd. Ses allures furtives achèvent d’en faire un inconnu, un ignoré. Il ne se signale guère à l’observation que par son chant aigrelet au printemps ou par sa présence hivernale quand il vient picorer au sol les restes tombés de la mangeoire qu’il n’ose visiter car c’est un oiseau terricole.

En hiver, se mêlent chez nous des Accenteurs de diverses origines : les sédentaires très fidèles à leurs lieux de naissance ou de reproduction, des visiteurs venus des pays voisins et des migrateurs descendus de Fennoscandie.

L’Accenteur est insectivore en été et majoritairement granivore en hiver. Un estomac musculeux et un jabot où les graines s’amollissent avant la digestion, à la façon des fringilles (Pinsons, par exemple), lui permettent cette adaptation. C’est donc un oiseau qui résiste très bien au froid. Seul un enneigement prolongé pourrait lui occasionner des problèmes et même le décimer fortement.

Un système social interchangeable

Le système d’accouplement chez l’Accenteur mouchet est un des plus complexes parmi la vie sociale de nos petits passereaux. A tel point que le recensement par « couples » reste très aléatoire. Si beaucoup de partenaires restent fidèles à la monogamie, le recours à la polyandrie (une femelle avec deux mâles) est commun, la polygamie (un mâle avec deux ou trois femelles) est régulière, tandis que la polyandrie (deux ou trois mâles avec deux ou trois femelles) est occasionnelle.

accenteur mouchet jardin

L'Accenteur mouchet est un petit passereau terricole discret, au plumage modeste, qui recherche sa nourriture au sol. Il fréquente assidûment les pelouses rases.

Ce comportement sexuel très particulier fut soigneusement étudié au jardin botanique de Cambridge (Nick Davies, 1992) sur base de 234 « couples » : les vrais couples ne représentaient qu’un quart environ de l’ensemble.

La cause de cette complexité sexuelle réside dans le fait que les territoires du mâle et de la femelle sont largement indépendants des uns et des autres. Le territoire du mâle étant usuellement plus étendu que celui de la femelle, il empiète sur ceux de plus d’une femelle ce qui engendre la polygamie. Mais comme tout n’est pas aussi simple que prévu, le « territoire mâle » est souvent occupé par deux mâles, dont l’un est le « dominant », tous deux s’intéressant à la même femelle : il s’agit alors d’une « polyandrie coopérative ».

D’après Paul Gailly (Aves 1988), le mâle dominant s’efforce de maintenir le mâle dominé loin de la femelle pendant la période où elle est féconde. Cela suppose un « gardiennage » qui a malheureusement pour effet une diminution de l’efficacité alimentaire de la femelle (au nid), se traduisant par une proportion plus élevée d’oeufs de mauvaise qualité. La femelle voit cet empressement d’un très mauvais œil. Résultat : elle s’efforce d’échapper à son partenaire dominant si possessif, tout en essayant de s’accoupler avec le mâle dominé, ce dernier ne participant au nourrissage que s’il a eu l’occasion de copuler avec la femelle. L’observation montre que, lorsque les deux mâles (ou plus) partageant le territoire ont eu la possibilité de s’accoupler avec la même femelle, la taille de la ponte est bien supérieure à ce qu’elle est lorsque le mâle dominant seul s’est accouplé : la femelle ainsi courtisée semblerait adapter la taille de sa ponte à l’importance de l’aide matérielle qu’elle pourra espérer lors du nourrissage des jeunes.

Finalement, au point de vue de la femelle, la sélection favorise une polyandrie (sans conflits), tandis qu’au regard des mâles, elle favorise la polygamie : autant de stratégies amoureuses aux avantages partagés …

Le Troglodyte mignon

Espèce holarctique, le Troglodyte mignon se reproduit dans toute l’Europe, Islande incluse, et dans le nord-ouest africain, mais à l’exception du nord de la Scandinavie, de la Finlande et de la majeure partie de la Russie et de l’Ukraine. Il est le seul représentant d’une famille de Troglodytes qui aurait pénétré dans l’Ancien Monde par l’Alaska au cours de la dernière époque glacière.

troglodyte mignon

Le Troglodyte mignon, petite boule de plumes roussâtres montée sur de robustes pattes, est facilement identifiable grâce à sa queue droite qu’il tient constamment érigée.

Une toute petite boule de plumes brunes, piquée d’une minuscule queue dressée, se faufilant comme une souris entre les racines et les branchages d’une végétation dense, voilà la vision fugitive du Troglodyte mignon. Ne pesant que quelque neuf grammes en moyenne, il ne se montre que rarement à découvert. Ce n’est qu’en période des amours que le mâle se laisse admirer sur un piquet de clôture ou campé sur une souche d’où il débite vigoureusement son chant sur une cadence rapide, avec une sonorité claire et métallique. En ces rares moments-là, on est étonné de la portée et de la vigueur des sons aussi retentissants de la part d’un oiseau aussi minuscule. Les exigences quant au milieu vital sont à la mesure de sa personnalité. Il a besoin de trous, de crevasses, de fouillis d’une végétation basse et sombre où il peut s’y glisser, tel une souris.

À l’exception des zones ouvertes des prés ou des cultures, ainsi que des centres urbains dépourvus d’espaces verts suffisants, et tout comme l’Accenteur mouchet, le Troglodyte se rencontre dans un grand nombre de milieux pour autant qu’il puisse y disposer d’une couverture suffisante. L’espèce sera donc présente dans des habitats très divers : sous-bois développés avec ronciers ou fougères, berges des canaux et des rivières aux rives envahies par la végétation, chemins creux et talus embroussaillés, schorres envahis de saules et de roseaux, etc. Des vieux parcs, de vastes jardins et les abords de fermes, entre autres, lui conviennent également comme sites de nidification.

Le Troglodyte est un cavernicole en ce sens qu’il construit son nid en forme de boule sphérique ou ovoïde pourvu d’une ouverture latérale circulaire comme entrée. C’est le mâle qui en bâtit le gros œuvre, tandis que la femelle se réserve l’aménagement douillet du revêtement interne. Solide, généralement situé à faible hauteur en un lieu abrité et pouvant servir de gîte en hiver, cette petite construction adroite peut s’ériger en des endroits les plus divers : entre les tiges d’un lierre grimpant, sous un pont (comme chez le Cincle plongeur), sur un chevron d’une soupente, dans la cavité d’un mur, dans l’escarpement d’une berge, dans un arbuste touffu, dans un tas de branchages morts ou de fagots, dans une souche pourrie, dans un vieux nid d’Hirondelle, etc. Plus insolites encore sont les nids que l’on rencontre insérés dans des bouquets accrochés à un mur, dans des bottes de haricots secs suspendus au plafond de bâtiments peu fréquentés et même dans la poche d’une veste abandonnée sur sa patère dans une grange désaffectée …

N’oublions pas que le Troglodyte ne dédaigne pas le nichoir en terre cuite en forme de « petit pain rond » que l’on place judicieusement contre un mur de la maison ou du garage, à plus de trois mètres de hauteur et dans un recoin discret.

Tout comme chez l’Accenteur, le nid du Troglodyte est souvent parasité par le Coucou gris.

Il est admis que les Troglodytes d’Europe centrale et méridionale sont généralement sédentaires. Chez nous, la plupart de nos individus nicheurs adultes restent sur place tandis que les jeunes s’aventurent en France pour hiverner. Des longues périodes de froid intense ou d’enneigement prolongé déciment fortement les populations locales.

Un entrepreneur entreprenant

troglodyte

Le Troglodyte construit son nid en forme de boule qu’il aménage aussi dans des nichoirs. L’Accenteur mouchet, lui, se contente d’un nid de mousses.

Le Troglodyte mâle a mis au point une tactique d’approche très réaliste pour s’assurer des bonnes grâces des femelles qui traversent son petit territoire à la saison des amours. A cette époque, le mâle développe une activité débordante, au va-et vient régulier et affairé, car le temps presse pour ce constructeur inlassable et émérite qui a décidé de bâtir des nids en série afin d’augmenter ses chances de séduction. Si une femelle est attirée par son chant sonore et mélodieux qu’il lance depuis chacune de ses édifications laborieuses mais architecturales, celle-ci visite tour à tour les appartements successifs avant de fixer définitivement son choix. Auquel cas, les fiançailles pourront se fêter et une petite famille de Troglodytes pourra être fondée. Les mâles les plus entreprenants et possédant un territoire de qualité peuvent ainsi attirer plus d’une femelle. Si certains mâles restent monogames et participent activement à l’élevage, chacun avec sa femelle, d’autres abandonnent leur première compagne pour s’associer à une autre, mais cette polygamie très courante n’empêche pas cet infidèle de participer au nourrissage des deux nichées. En bref, si la monogamie est souvent transgressée, c’est parce que le Troglodyte mâle sait (parfois) faire fructifier son agence immobilière …

Mais d'où viennent leurs noms ?

Troglodyte mignon (Troglodytes troglodytes)

Il y a 59 espèces de Troglodytidés, c’est-à-dire des oiseaux qui « pénètrent dans les trous », suivant l’étymologie grecque, ou qui bâtissent des nids en forme de boules percées d’un trou. Sa petite taille lui vaut le surnom de « mignon ». Ce minuscule passereau a reçu une foule de surnoms populaires parmi lesquels se dégagent une série de « roi », par dérision peut-être ou par analogie avec les Roitelets (Regulus sp.) dont le Troglodyte partage la petite taille, d’où « roi de froiderie », « roitelet de neige » ou encore « roitelet de haies d’hiver ». En France, il est localement désigné par « fourre-buisson » ou « troussepet » à cause de sa queue relevée. En Wallonie, il s’appelle localement (Liège) « couvreur » (covreù), parce qu’il fait un nid avec un toit, ou encore « musse à haie » en Ardennes.

Accenteur mouchet (Prunella modularis)

Le genre « Prunella » est formé à partir du latin « prunus » qui signifie « prunier ». Le rapport n’est pas clair entre ces oiseaux et les prunelles : peut-être est-ce une comparaison entre le plumage brun sombre et la couleur des prunelles ? Curieusement, la dénomination Accenteur serait la traduction du mot latin « Accentor » signifiant « qui chante en accompagnement ». Or, notre Accenteur serait plutôt un soliste ! Le surnom « mouchet » désigne d’une manière assez vague un petit oiseau commun (variante : « mouchon » pour Moineau). En dialecte wallon, aussi appelé « nwar mouchon ». Porte encore la dénomination vulgaire de « Mouchet chanteur » et « Accenteur modulaire » qui traduit lourdement le latin « modularis », c’est-à-dire « mélodieux ». A cause de sa ressemblance superficielle et le bec fin d’insectivore, on trouve le surnom de « fauvette d’hiver ». Sa façon de se faufiler dans les buissons épais lui vaut l’appellation de « fauvette de haie » ou de « traine-buisson ». Citons encore le charmant « gratte-paille » (Brie/France) qui convient très bien à ce petit glaneur qui fréquentait jadis les granges et les aires où l’on battait le blé (Buffon).

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