Vous avez peut-être déjà observé un oiseau portant une bague. Mais comment cette bague a-t-elle été placée ? Quelles informations renferme-t-elle ? La pratique du baguage, datant de plus d’un siècle en Belgique, est-elle toujours pertinente aujourd’hui ? Nous avons rencontré Mario Ninanne, ornithologue passionné faisant partie des quelque 300 bagueurs certifiés de notre pays, pour faire le point sur la question.
Comment et pourquoi es-tu devenu bagueur ?
Mario Ninanne : J’ai eu la chance d’accompagner un ornithologue qui était bagueur et qui m’a tout appris sur les oiseaux et l’ornithologie. Je me suis lancé à mon tour dans le baguage parce que c’est une opportunité de voir l’oiseau de très près et, après un long apprentissage, de le connaître en profondeur. A 18 ans, j’ai passé mon double permis et je suis devenu bagueur, mais j’ai commencé mon apprentissage quand j’avais 11-12 ans, il y a donc plus de 50 ans.
Qu’est-ce que le baguage, d’après toi ?
Pose d’une bague sur une Fauvette à tête noire femelle
MN : Le baguage consiste à attraper un oiseau, en respectant toute une éthique bien précise, afin de lui poser une bague. Il est ensuite relâché dans les plus brefs délais pour éviter un stress trop prolongé. Entre le moment de la capture et le relâcher, l’oiseau va être analysé de manière approfondie : on vérifie les détails du plumage, les mensurations (taille, poids), le sexe (mâle ou femelle), l’âge (jeune ou adulte)… Ces données vont être encodées. Elles serviront aux scientifiques et permettront aux personnes qui retrouvent l’oiseau d’avoir toute une série d’informations à son sujet. Le baguage, c’est bien plus que de simplement mettre une bague à un oiseau, c’est contribuer à des études scientifiques.
Les oiseaux sont délicatement retirés du filet avant la pose de la bague.
Quelle est la proportion d’oiseaux bagués qui sont recapturés ou retrouvés ?
MN : Pour les petits oiseaux insectivores, migrateurs, comme les hirondelles ou les fauvettes, le pourcentage de reprise est à peu près de 0.1 %. Cela veut dire que l’on doit baguer beaucoup d’oiseaux pour espérer en retrouver. Mais pour les mouettes ou les sternes par exemple, de grands oiseaux qui vivent en colonie et qui sont très visibles en raison de leur couleur blanche, le pourcentage de reprise monte à 10-15 %. Proportionnellement, la Belgique bague beaucoup d’oiseaux, plus de 600 000 par an. Donc on peut espérer en retrouver 600.
C’est vrai, ces proportions sont assez faibles, mais cela fait plus d’un siècle que l’on bague les oiseaux. Au cours de cette période, de nombreux renseignements ont été accumulés sur beaucoup d’espèces. En compilant ces données, on peut en tirer des statistiques. Les techniques se sont aussi améliorées. On a de plus en plus de reprises d’oiseaux bagués.
Signaler un oiseau bagué
Les bagues scientifiques sont des bagues métalliques à base d’aluminium (non oxydable) à code unique (alphanumérique) sur lesquelles sont également indiqués le pays dans lequel la bague a été placée, ainsi que l’institution qui centralise les données de baguage dans ce pays. Ces bagues ne sont lisibles que lorsque l’oiseau est pris en main (recapture dans le cadre d’un programme de baguage, oiseau blessé ou mort). En plus de la bague métallique à code unique, certains oiseaux portent également une bague en plastique de couleur avec un code alphanumérique plus court, visible à distance, à la longue-vue ou à la jumelle. Il s’agit d’oiseaux de plus grande taille (laridés, anatidés, rapaces, limicoles, etc.). Il existe enfin d’autres types de marquage, tels que des étiquettes nasales, des colliers, des marquages alaires, des balises, etc.
Signaler les observations d’oiseaux bagués permet de contribuer aux études scientifiques. Chaque observation d’un individu permet d’en apprendre un peu plus sur son itinéraire, sur le temps durant lequel il a séjourné sur un site de halte migratoire, etc. Quel que soit le type de marquage (bague à code unique ou bague de couleur), l’ornithologue et l’observateur ayant signalé l’oiseau recevra en retour les informations sur l’oiseau observé.
Dans le cas des bagues métalliques, le code de la bague ainsi que les circonstances de la découverte peuvent être communiquées à Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique (IRSNB) via le formulaire suivant : https://odnature.naturalsciences.be/bebirds/en/report-a-ring/. Les cartes des reprises de bagues des oiseaux bagués et/ou trouvés en Belgique sont également accessibles sur le site de l’IRSNB (https://odnature.naturalsciences.be/bebirds/en/ring-recoveries)
Les oiseaux porteurs d’une bague de couleur peuvent quant à eux être signalés (en mentionnant la couleur de la bague, la couleur du code, l’emplacement précis de la bague sur les pattes de l’oiseau) grâce au formulaire suivant: https://cr-birding.org/colourprojects. Ce site permet également de signaler les oiseaux portant un autre type de marquage.
Les colombophiles utilisent également des bagues pour identifier leurs pigeons voyageurs. Les codes de ces bagues colorées n’ont pas d’utilité scientifique et ne doivent pas être communiquées à l’Institut des Sciences Naturelles. La découverte de pigeons domestiques égarés peut être signalée à l’adresse suivante: https://www.kbdb.be/fr/signaler-pigeon/
Quels sont les paramètres de la vie des oiseaux qui sont étudiés par le baguage ?
Mesure de la longueur des rémiges primaires d’un Phragmite des joncs.
MN : Au début, on voyait que l’on baguait l’oiseau à un tel endroit et qu’on le retrouvait ailleurs. L’étude était très superficielle, c’était juste le déplacement Nord-Sud, été-hiver. Très vite, le baguage a servi à étudier de nombreux autres paramètres. On peut par exemple calculer le ratio entre les oiseaux adultes et les jeunes que l’on bague, et comparer le succès de la reproduction d’une année à l’autre. C’est aussi notamment grâce au baguage que l’on sait que, pour certaines espèces, la première année, près de 80 % des jeunes oiseaux meurent, et que seuls 20% reviennent l’année suivante. On étudie également la fidélité au site, pour voir si les oiseaux reviennent à l’endroit où ils sont nés, ou dans les environs immédiats. La longévité des oiseaux est aussi étudiée grâce au baguage. Enfin, il y a la contribution aux études sur les maladies aviaires, comme la grippe aviaire par exemple.
Peux-tu donner des exemples de découvertes mises en lumière grâce au baguage ?
MN : Le baguage a permis de déterminer qu’il y a beaucoup d’échanges d’Est en Ouest, en plus des mouvements Nord-Sud. Il y a des oiseaux qui viennent d’Asie, et qui viennent passer l’hiver chez nous, notamment des oiseaux d’eau. Il y a d’autres oiseaux qui ont été bagués sur nos côtes occidentales et qui ont été retrouvés en Amérique du Sud par exemple, donc qui ont traversé l’océan Atlantique. Avec le changement climatique, il y a aussi des changements de comportement dans la migration. Des oiseaux partent moins loin ou partent plus tard, reviennent plus tôt, ou ne partent même plus. Il y en a qui se sédentarisent tout à fait. Il y a quelques décennies, toutes les Hirondelles rustiques et Hirondelles de fenêtre hivernaient au Sud du Sahara. Il y a 10 – 20 ans, il y en avait qui restaient dans le Nord de l’Afrique. Et depuis 5 – 10 ans, certaines passent l’hiver en Espagne ou au Portugal. On observe également que des Fauvettes à tête noire vont passer l’hiver en Angleterre. Des espèces plus nordiques ne viennent plus chez nous, mais vont hiverner plus au Nord, ou n’arrivent que par grands froids prolongés.
Peut-on considérer que le baguage, les sciences participatives, et les techniques de géolocalisation sont des techniques complémentaires pour l’étude des oiseaux ?
Analyse des barres de croissance sur les rectrices d’une Fauvette à tête noire femelle.
MN : Bien évidemment, la science évolue, les techniques aussi. C’est complémentaire parce qu’il y a des choses qui peuvent être faites par l’observation, mais pas tout non plus. Par exemple, l’été passé, c’était flagrant : quasiment toutes les jeunes Rousserolles effarvattes que je baguais avaient des barres de croissance, signe qu’elles avaient eu du mal à se nourrir et à faire pousser leurs plumes. Quand on a un oiseau en main, on souffle sous ses plumes pour voir la masse de graisse qu’il a autour du bréchet pour évaluer s’il a pu se nourrir et s’il est prêt pour la migration. On pèse aussi l’oiseau. Donc, malgré l’évolution des technologies, le baguage garde un intérêt complémentaire. A l’heure actuelle, les techniques s’affinent et on peut mettre des petites balises sur les oiseaux pour les suivre au jour le jour. Pendant l’hiver, on voit les régions qu’ils fréquentent. Et grâce à ça, on peut protéger des zones de halte migratoire et d’hivernage importantes. Il y a des opportunités qui s’ouvrent pour la protection.
Est-ce sans risque de capturer les oiseaux pour les baguer ? Quelles précautions peuvent être prises pour réduire leur stress ?
MN : C’est vrai, il ne faut pas le nier, il y a un facteur de stress lié au baguage. Mais d’un autre côté, ça contribue à la connaissance et donc à la protection des oiseaux, même sur d’autres continents. Quand on manipule du vivant, un accident peut toujours arriver. Un prédateur, un chat, un renard ou un épervier peut trouver l’oiseau avant moi dans le filet. Il peut aussi y avoir un accident malheureux, comme une crise cardiaque. Le risque zéro n’existe pas, mais on essaie de le minimiser. C’est une priorité. On travaille dans de bonnes conditions éthiques et dans le respect de l’oiseau. On vérifie le filet de capture tous les quarts d’heure, on ne laisse pas un oiseau au soleil, ça doit se passer vite et bien. Dès que l’oiseau est attrapé, on le met dans un sac sombre pour réduire le stress, et on fait en sorte de le baguer dans les minutes qui suivent. Il faut aussi bien le tenir pour éviter qu’il se débatte, ce qui limite les possibilités de blessures.
Le certificat de baguage s’obtient en étant accompagné par les ornithologues expérimentés qui baguent les oiseaux sur le terrain. Cette transmission de la connaissance et de la technique vers la nouvelle génération est-elle importante pour toi ?
MN : On a la chance, en pratiquant le baguage, d’avoir une connaissance approfondie des oiseaux qu’il est pour moi essentiel de transmettre aux générations suivantes. C’est sur le terrain qu’on apprend vraiment les choses. Lors des séances publiques de baguage, je fournis des explications aux participants, et ils me répondent “On ne verra plus jamais les oiseaux de la même façon. Maintenant, on comprend certaines choses.” Je crois qu’une connaissance plus approfondie peut aider à sensibiliser davantage. Et qui dit sensibilisation, dit meilleure approche pour la protection des oiseaux et du vivant en général.
Peux-tu partager un souvenir marquant de ton expérience de baguage ?
MN : J’ai eu la chance, par exemple, de capturer un Engoulevent d’Europe. J’avais tendu un filet pour les rousserolles, les passereaux aquatiques, et le premier oiseau que j’ai trouvé un matin, c’était un Engoulevent. J’étais à mille lieues d’imaginer qu’il y avait une espèce aussi particulière à Bruxelles. Il y a aussi une Hirondelle de fenêtre que j’ai baguée et reprise six années de suite. Comme j’avais systématiquement bagué les mâles aussi, j’ai pu constater qu’elle changeait de partenaire chaque année. L’ornithologie, c’est aussi une expérience humaine permanente : on rencontre des personnes venues de tous les horizons et de toutes les couches sociales. Je crois que j’ai rencontré des milliers de personnes par le biais des oiseaux. Un jour, une journaliste est venue faire un reportage sur le baguage, mais elle avait la phobie des oiseaux. Après avoir observé, discuté, elle a fini par toucher, puis prendre un oiseau sur le doigt. Elle a osé le toucher et le caresser, et elle m’a dit “Merci Monsieur, grâce à vous, je n’ai plus peur.” Là, on a gagné quelque chose.
Participer à une séance publique de baguage
Afin de sensibiliser le grand public au baguage, des séances accessibles à toute personne intéressée sont organisées chaque année en fin d’été dans les trois régions du pays.
- À Bruxelles, à la Commission Ornithologique de Watermael Boitsfort (https://www.cowb.be/)
- En Wallonie, à la station de baguage de Nodebais (https://www.beauvechain.eu/ma-commune/services-communaux/environnement/baguage-des-oiseaux-sauvages)
- En Flandre, au Zwin (https://www.zwin.be/fr/activites/le-baguage-des-oiseaux)
Comment obtenir son certificat de baguage scientifique ?
Le baguage en Belgique est effectué par des bénévoles certifiés. L’Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique (IRSNB) délivre les certificats de baguage et centralise les données. L’apprentissage est constitué de deux périodes de stage de deux ans, chacune suivie d’un examen théorique. Le premier donne le droit de baguer les poussins au nid, et le second d’utiliser des moyens de capture et de baguer les oiseaux capturés. Plus d’infos sur : https://odnature.naturalsciences.be/bebirds/fr/become-a-ringer