Depuis 10 ans, l’association française POLLINIS ne cesse d’attirer l’attention sur les effets néfastes des pesticides, non seulement sur les abeilles domestiques, mais également sur leurs consœurs sauvages et tous les autres insectes pollinisateurs.
Las d’interpeller, sans succès, le monde politique, elle vient d’intervenir en justice contre l’État français. La disparition, par milliards, des insectes de nos campagnes, à laquelle s’ajoutent les effets délétères des résidus des pesticides, est aussi la cause principale de la diminution alarmante de nombreuses espèces d’oiseaux.
De bons produits qui ne font pas de mal aux oiseaux ?
Si les effets directs des pesticides s’observent assez bien sur les plantes et sur les invertébrés : dont les insectes, ils restent souvent indétectables sur les vertébrés : dont les oiseaux, tant que l’on n’utilise pas de hautes doses. D’ailleurs, ceci devient souvent un argument des pro-pesticides pour en souligner l’innocuité : on ne retrouve pas d’oiseaux morts ! C’est oublier les effets, à long terme, de l’exposition permanente à de petites doses. Ces effets ne sont jamais évalués, y compris pour les autorisations de mises sur le marché. Ces petites doses ne provoquent pas de mortalité directe mais peuvent néanmoins avoir des conséquences subtiles et graduelles sur le nombre et la taille des descendants, la chronologie de la reproduction, l’âge et la taille à la maturité sexuelle, la croissance, la longévité… Si plusieurs de ces traits de vie se trouvent altérés, cela aura des conséquences sur la survie individuelle, à moyen terme, et donc sur le maintien de populations d’espèces déjà très sérieusement impactées par les autres modifications induites par l’agriculture intensive.
A démontrer
Une étude innovante vient d’être conduite sur des perdrix grises, par une équipe française, et les résultats sont glaçants, avec des effets allant bien au-delà de ce que l’on imaginait. La plupart des oiseaux, qui vivent dans les zones cultivées, consomment : soit des graines en hiver, soit des insectes au printemps et en été, notamment pour nourrir leurs nichées. Ils se trouvent donc ainsi potentiellement exposés aux résidus de pesticides, utilisés en conventionnel, qui persistent immanquablement dans les ressources alimentaires. Même si les doses incriminées restent faibles, la consommation régulière de graines ou d’insectes contaminés finira par entraîner une accumulation dans le corps des oiseaux. La contamination par des résidus de pesticides n’a été que très peu explorée, ou considérée comme négligeable ! D’où, pour démontrer les effets nocifs de ces résidus, l’idée de comparer des oiseaux agricoles, se nourrissant dans des cultures conventionnelles où l’on applique chaque année divers pesticides, avec ceux se nourrissant dans des cultures conduites en agriculture biologique où tout usage de pesticides et d’engrais minéraux est banni.
Chez la Perdrix grise
L’espèce test retenue a été la perdrix grise. C’est une espèce qui s’élève très facilement en captivité. Par sa sédentarité, elle se trouve potentiellement très exposée aux résidus des pesticides. L’expérience a consisté à élever des couples de perdrix grises sous des cages installées en plein air. Ces perdrix étaient nourries de graines de céréales, issues : soit de fermes biologiques ou soit de fermes conventionnelles, où l’on utilise classiquement des pesticides. L’expérience a été réalisée deux années de suite avec 20 couples en 2017 et 19 autres en 2018. Après une période d’installation de trois semaines, où elles sont toutes nourries avec des grains issus d’agriculture biologique, la moitié des couples a continué l’alimentation en grains «bio», et l’autre moitié des couples a été alimentée avec des grains issus de cultures classiques. Chaque année, l’expérience a duré six mois. Les deux séries ont reçu les mêmes types de grains de céréales, en mêmes quantités et au même rythme journalier. Les deux lots de perdrix ne différaient donc que par les résidus de pesticides de l’alimentation issue de l’agriculture conventionnelle. Des doses de 0,048 mg/kg pour le blé à 2,9 mg/kg pour le maïs ont été détectées, ce qui, selon les auteurs, sont des « valeurs habituelles » parmi les nombreux pesticides utilisés.
L’accouplement se complique
Les chercheurs ont observé en détail l’évolution des oiseaux, en lien avec la seule différence de régime alimentaire. L’attention s’est d’abord portée sur les taux sanguins de caroténoïdes, qui proviennent de la nourriture consommée, et l’intensité de la coloration de certains caractères sexuels secondaires. Dès la dixième semaine d’élevage, des différences significatives sont apparues entre les deux groupes testés. Elles se sont amplifiées jusqu’à la fin de la période de suivi. La concentration plasmatique, en caroténoïdes, chez les perdrix nourries de céréales conventionnelles, était plus basse que chez celles nourries de grains bio. Il en est résulté chez les mâles des perdrix « conventionnelles » une coloration rouge de la peau nue, autour des yeux, nettement moins intense que chez les perdrix «bio». Or, cette coloration rouge du tour de l’œil joue un rôle clé dans l’attractivité des mâles envers les femelles. De ce fait, il a été observé un comportement bien plus actif et agité chez les mâles conventionnels pour solliciter l’intéressement des femelles. Dans la nature, un tel processus peut conduire rapidement à une baisse de la formation de couples et donc à un déclin de la population.
Et il y a plus grave en interne
L’hématocrite a été utilisée comme indicateur pour évaluer l’état physiologique des perdrix. Chez les perdrix conventionnelles, l’hématocrite est devenue significativement plus basse, ce qui est un signe d’une certaine anémie. Par exemple, les néonicotinoïdes provoquent cet effet chez les oiseaux qui en ingèrent. En retour, ce stress interne chronique a un effet stimulant sur le système immunitaire, qui montre une plus forte réponse lors de tests avec des antigènes bactériens, et une augmentation des globules blancs. Ce haut niveau d’expression du système immunitaire et le stress physiologique associé ont un coût énergétique élevé et peuvent impacter la survie individuelle, via notamment des maladies ou des parasites. Or, chez les perdrix conventionnelles, on a constaté une nette augmentation de la charge intestinale en coccidies (parasites unicellulaires digestives responsables de coccidioses) par rapport aux perdrix «bio» testées indemnes.
Un reproduction en difficulté
Les femelles conventionnelles produisent autant d’œufs par ponte mais ils sont plus petits, ce qui diminue sensiblement les chances de survie des poussins nidifuges. Les pesticides sont connus pour perturber les hormones clés de la reproduction, en agissant comme perturbateurs endocriniens. Ils agissent sur la sécrétion d’hormones sexuelles stéroïdes qui affectent la production d’ornements sexuels et/ou la motivation à se reproduire. Certains pesticides limitent l’action des hormones femelles, induisant une baisse de la fertilité. De tels effets ont déjà été documentés chez la perdrix rouge en milieu naturel. Les pesticides organochlorés sont connus pour provoquer un amincissement de la coquille des œufs, ce qui les rend fragiles et sujets à la casse pendant la couvaison.
Il n’y a plus qu’à attendre
Cette étude démontre, de manière scientifique rigoureuse et incontestable, que les résidus de pesticides dans les produits agricoles peuvent, en dépit de leur faible dosage rassurant dès le premier abord, devenir des bombes à retardement en perturbant la vie des oiseaux des milieux agricoles. Ces modifications subtiles, imperceptibles de l’extérieur sans protocole d’observation et d’expérimentation comparatifs, peuvent induire des risques de prédation plus élevés, un moindre succès reproductif ou une survie affaiblie. Tout ceci vient s’ajouter aux nombreux autres effets dévastateurs, directs ou indirects, induits par l’agriculture intensive et ses pratiques. Il y a urgence à intégrer les effets dommageables des résidus des pesticides dans les procédures d’évaluation des substances destinées à l’agriculture.
Le temps ne doit plus être au laxisme avec les pesticides.
Pour aller plus loin – lire l’article : Oiseaux et pesticides
Bibliographie :
Feeding partridges with organic or conventional grain triggers cascading effects in life-history traits. Jerome Moreau et al. Environmental Pollution. (2021)