Ligue Royale Belge pour la Protection des Oiseaux (LRBPO en abrégé) est bien plus qu’un nom, c’est un symbole. Un monument même. Si elle n’existait pas, les oiseaux devraient l’inventer. La LRBPO, c’est cent ans de protection des oiseaux organisée en Belgique.

Le fait que ses bureaux se situent toujours à Anderlecht, dans la célèbre rue de Veeweyde, souligne son caractère historique : car c’est bien à cette adresse qu’en 1908, Jules Rühl, pionnier de la défense des animaux en Belgique, a fondé un des premiers refuges pour chiens et chats du pays, qui sera plus tard connu dans tout le pays sous le nom de Veeweyde. La première loi belge relative à la protection des animaux, adoptée en 1929, est venue couronner la vie de ce précurseur innovateur. Je me sens fortement lié à celui que la presse de l’époque avait baptisé « l’apôtre des animaux». Je le vois même comme un (arrière-)grand-père spirituel.

Une autre figure tout aussi emblématique est le légendaire président de la LRBPO, l’inoubliable Roger Arnhem. C’est en juillet 1985 que j’ai rencontré Roger pour la première fois, lors d’une conférence de presse que j’avais moi-même organisée à Bruxelles à la suite de l’infâme scandale des « singes du roi »– trois chimpanzés, plus morts que vifs, que le roi Baudouin avait reçus en cadeaux de Mobutu, le célèbre président-fondateur du Zaïre. J’avais levé le voile sur cette transaction illégale dont étaient victimes ces pauvres grands singes, pourtant membres d’une espèce protégée. L’affaire avait fait le tour du monde.

Alors que je m’apprêtais à prendre la parole dans cette salle bourrée de journalistes et d’éminents représentants d’associations de protection animale, une pensée me submerge. Presque instantanément, elle accapare mon esprit tout entier. Cette pensée fut la réalisation que j’étais né pour ce combat, que ma vie entière serait consacrée à la défense des droits de ces êtres sensibles sans défense que sont les animaux.

Durant mon discours, un homme m’interpella, saisissant au passage l’attention de l’audience tout entière. Durant son intervention pour le moins percutante, Roger Arnhem ne se gêna pas pour descendre en flammes le Ministre de l’agriculture de l’époque, Paul De Keersmaeker, et sa politique lamentable en matière de bien-être animal et de protection des espèces menacées. Plus tard dans la journée, Roger Arnhem m’assura de son soutien, mais aussi de celui de la Ligue Royale Belge pour la Protection des Oiseaux et de l’association Veeweyde, dont il était le vice-président. A ce moment-là je ne m’imaginais pas que cinq années plus tard, je deviendrais la voix et le visage de Veeweyde. Cette toute première rencontre sera le début d’une longue collaboration fructueuse et d’une grande amitié qui perdurera jusqu’à sa mort en 2006.

Toutefois, ce jour-là, j’ignorais encore presque tout de cet homme, ce battant infatigable qui avait convaincu le ministre (fédéral) compétent en la matière, Léo Tindemans, d’interdire la tenderie en 1972. Cette décision historique a tant marqué les esprits qu’elle représente aujourd’hui encore un grand moment dans l’histoire de la protection des animaux en général, et des oiseaux migrateurs en particulier. Tindemans la rapporte dans ses Mémoires, allant jusqu’à la décrire comme une décision ministérielle parmi celles qui l’ont poursuivi pour le restant de sa carrière politique. Pour André Cools, cet autre grand politicien aux allures d’homme d’état, abolir la tenderie s’apparentait à une déclaration de guerre. Cet affront, Cools ne l’a d’ailleurs jamais pardonné à Tindemans.

Quoi qu’il en soit, la LRBPO allait s’en souvenir de cette grande victoire. S’en sont ensuivies d’innombrables actions en justice pour faire appliquer la nouvelle loi sur le terrain, témoignant ainsi de la ténacité de ses dirigeants sous l’impulsion de son défunt président Roger Arnhem. Car oui, la LRBPO s’est vue continuellement confrontée à l’obstruction et même au sabotage des autorités compétentes, sans compter la violence des tendeurs, qui représentaient une force électorale considérable à l’époque. Ces derniers étaient d’ailleurs bel et bien conscients de leur poids politique : se sentant encore et toujours tout puissants, ils n’avaient aucunement l’intention de respecter la nouvelle législation. Il aura fallu des années de combat acharné pour qu’ils finissent par comprendre que les temps avaient changé et que leur règne était révolu.

Roger Arnhem n’a jamais cessé de me soutenir, et ce depuis notre première rencontre. Il m’a notamment appuyé dans toutes les démarches et actions que j’ai pu entreprendre en tant que directeur de communication externe à Veeweyde. Je me souviendrai toujours de ces longues nuits passées à Brucargo, où Roger et moi devions remuer ciel et terre pour évacuer des milliers d’oiseaux sauvages, arrivés en piteux état à Zaventem, vers le quartier général de la LRBPO pour leur apporter les soins nécessaires. Nos actions de dénonciation de ce trafic particulièrement cruel ainsi que nos opérations de sauvetage ont indéniablement contribué aux décisions de plusieurs compagnies aériennes d’arrêter le transport d’oiseaux sauvages et, plus important encore, de l’adoption par l’UE de l’interdiction d’importation d’oiseaux capturés à l’état sauvage. Lorsque j’ai quitté Veeweyde pour créer GAIA, c’est encore lui qui m’a aidé à réaliser ce grand projet en m’engageant comme conseiller bien-être animal de la Ligue. Je n’oublierai jamais sa réaction lorsque je lui ai annoncé que GAIA nécessitait désormais que je m’y consacre entièrement: « Je savais que ce moment arriverait. Je ne te retiendrai pas. Si c’est ton rêve, alors tu dois le réaliser. Je te soutiens entièrement dans ta démarche. »

On se souviendra des actions menées conjointement par la LRBPO et GAIA qui visaient à révéler la face cachée de la chasse et qui faisaient la une des journaux flamands. Je pense notamment aux manifestations organisées lors de deux éditions du Salon de la Chasse à Gand – événement où la chasse au gros gibier en Afrique était fortement promue. Ces actions audacieuses étaient perçues par les chasseurs présents comme quelque peu musclées, alors qu’en réalité, nous nous comportions de manière strictement non violente, dans le respect de ce qui avait été convenu avec la police. Il va sans dire que la présence de plusieurs centaines de manifestants n’a pas manqué de susciter la rage des organisateurs, lesquels nous ont d’ailleurs poursuivis en justice, sans jamais obtenir gain de cause. Certaines actions communes ont aussi concerné l’interdiction des animaux sauvages dans les cirques, objectif que nous avons atteint en 2013. La LRBPO ne peut qu’être fière de son passé glorieux. Pour ma part, je me sens honoré d’avoir quelque peu porté ma pierre à son édifice. Je ne doute pas que la LRBPO connaîtra un avenir fructueux, jalonné de nombreux défis qu’elle relèvera avec dévouement, passion et savoir-faire.

La LRBPO s’est chargée d’une mission dont l’importance ne peut être sous-estimée : faire cesser les dérives cynégétiques en incarnant la force anti-chasse en Région Wallonne. Il y va de l’intérêt général qu’un authentique respect de la nature et des animaux sauvages soit instauré dans notre pays. Ce combat n’est pas facile, et c’est justement pour cette raison qu’il faut le mener. Certes, les raisons de se décourager ne manquent pas, les effets néfastes du changement climatique en étant un exemple prégnant. Toutefois, il est exclu de jeter l’éponge. Souvenons-nous du général américain Anthony Mac Auliffe qui, pendant la bataille des Ardennes, face à l’ultimatum que les Allemands lui avait posé, a répondu: « Nuts! » (Allez au diable). Devinez qui en est sorti victorieux…

Aussi longtemps que je verrai revenir les hirondelles, je garderai espoir. Ces oiseaux, au même titre que toutes les autres espèces menacées, ont la chance de pouvoir compter sur le savoir-faire et l’expérience d’une centenaire en pleine forme, qui peut de plein droit se féliciter d’un parcours remarquable.

Tant qu’il y aura des hommes et des femmes qui persisteront dans leur mission de défense et de préservation de la faune sauvage et de ses habitats, je reste convaincu que je reverrai les hirondelles chaque année qu’il me reste à vivre. Grâce à elle, je continuerai d’observer leurs revirements secs, leurs brusques changements d’altitude et leurs vols à ras de terre pour chasser les insectes. Et chaque fois, un sourire se dessinera sur mon visage. Et je me sentirai joyeux, heureux…, comme une hirondelle. Et je me rappellerai pourquoi il est inconcevable de capituler et de livrer notre chère planète et ses habitants aux mains du désespoir et du défaitisme. Puis soudain, j’entendrai une voix. Ce sera la voix du général Mc Auliffe qui répond: « Nuts! ». Pas question de jeter l’éponge.

Cette préface est avant tout un hommage au grand protecteur des oiseaux et des animaux sauvages qu’était Roger Arnhem, ce grand monsieur qui nous a laissé un souvenir indélébile et qui nous manque à tous. Mais c’est aussi l’occasion pour moi de saluer toute l’équipe de la LRBPO, dont ses dirigeants et son actuel président Jean-Claude Beaumont, et de les remercier pour leur dévouement à cette cause primordiale.

Merci à la LRBPO pour tout le travail qu’elle a accompli au profit de ces innombrables oiseaux en proie à la bêtise humaine. Vive la Ligue Royale Belge pour la Protection des Oiseaux, qui ne capitulera jamais. Je ne sais pas tout. Mais ça j’le sais.