Il y a des moments-charnières dont on ne comprend l’importance qu’avec le recul. À la fin de l’été 1978, alors qu’il me reste encore trois années d’études pour espérer être diplômé en Droit, Roger Arnhem, le président de la Ligue, me téléphone dépité : il est face à une situation insoluble.

En 1972, avait été conclu un gentlemen agreement avec le monde politique et les tendeurs, selon lequel des quotas dégressifs de capture devaient s’échelonner sur cinq ans pour arriver, en 1977, à la fin de la tenderie. Hélas, mangeant leur parole, ce beau petit monde avait décidé que la tenderie pouvait repartir de plus belle en 1978, faisant fi, en outre, de la décision du Comité de ministres Benelux de 1972 n’autorisant la capture qu’avec des cages de 50 dm³ maximum. Se voyait désormais autorisé un engin comportant deux filets qui, lorsqu’il était en position ouverte, reposait entièrement à plat et dont le volume de capture dépassait, en sus, allègrement les 50 dm³.

Ému et joyeux à la fois de faire profiter Roger Arnhem de mon maigre bagage juridique, je lui délivrai une formule magique en trois mots : Conseil d’État. C’est la première fois que Roger, militaire de carrière, mis anticipativement à la retraite pour avoir osé critiquer le dynamitage de dortoirs d’étourneaux par l’armée belge, entendait ces mots. Pourvu de ce sésame, Roger s’adressa au Ronaldo du Droit administratif de l’époque, Jacques Putzeys, l’avocat qui avait plaidé l’affaire numéro 1 du Conseil d’État, lorsqu’il fut mis en place en 1948.

De là découla, trois ans plus tard, le 16 octobre 1981, le premier arrêt obtenu par la Ligue du Conseil d’État et décrétant que le ministre Mathot (père) avait dénaturé la notion de cage et violé la décision Benelux M(72)18. Ce premier succès juridictionnel, devant la haute Cour administrative, fit comprendre à la Ligue que, face à un pouvoir exécutif pensant pouvoir s’affranchir des lois, son principal salut serait de recourir à ce cadeau, offert à chaque citoyen dans un État de Droit : en appeler au troisième pouvoir.

On doit, à la Ligue, 93 arrêts recensés sur le site du Conseil d’État (auxquels il faut ajouter une quinzaine d’arrêts plus anciens, non numérisés). Cette guérilla juridictionnelle déboucha sur la fin de la tenderie, de profondes modifications dans la législation sur la chasse (à l’époque étaient notamment gibier: le Merle, l’Écureuil, la Loutre ou le Phoque), l’annulation de l’importation d’espèces menacées, en provenance d’autres continents, le blocage du projet du golf de Mérode, à Rixensart, l’annulation de la restitution de son permis de chasse à un chasseur délinquant, la dérogation octroyée en vue de circuler en kayak ou en raft sur des cours d’eau sensibles, etc.

La tenderie illégale, très répandue à l’époque, avant que la Ligue n’obtienne que les sanctions soient correctionnelles, donnait lieu à des infractions de simple police (avec 25 francs d’amende maximum). Ceci m’amena à découvrir de très nombreux tribunaux de police, alors compétents, dans notre belle Région. Ces constitutions de partie civile furent remplies d’anecdotes. Pour n’en citer qu’une, je me souviens d’une audience de relevé (vieille expression qui signifie relevé de table) ayant lieu, en après-midi donc, à Neufchâteau. Il y était question, une fois de plus, de la légalité de la cage-filet. Voyant que, sous l’effet de la digestion, le président piquait du nez et ne m’écoutait plus, j’ai décidé, de façon impromptue, de faire fonctionner le ressort, très puissant, de cet engin sur le banc en face de moi, et qui, sous l’effet de son déclenchement, fit un saut d’environ 50 cm pour retomber bruyamment, m’accordant cette fois la pleine attention du président ! Pour finir, cette affaire fut jugée par la Cour de cassation qui estima, comme la Cour Benelux, que cet engin n’était pas conforme au Droit Benelux de 1972.

La Ligue peut être fière d’avoir été, et de rester, l’association de protection de l’Environnement francophone belge qui a intenté le plus d’actions en justice pour la protection de la Nature. Son action a été et reste décisive.