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Qu’est ce que l’intelligence, et en particulier celle des oiseaux ? La capacité de résoudre rapidement des problèmes, l’adaptation comportementale pour trouver de nouvelles solutions face à de nouvelles situations ou face à un nouvel environnement ? Au-delà des comportements innés dictés par l’instinct, comme le vol ou le départ en migration, les oiseaux sont aussi capables d’apprendre afin d’augmenter l’efficacité de leurs actions adaptatives. 

« La façon dont nous comprenons les autres créatures est en train de changer, et les capacités et comportements inattendus des oiseaux ont été un élément clé de ce progrès. »

Jennifer Ackerman

A la manière des oiseaux : un regard nouveau sur la véritable nature de l’intelligence des oiseaux

De nos jours, les scientifiques jettent un regard neuf sur la façon dont les oiseaux parlent, travaillent, jouent, élèvent leurs petits et pensent. Il semble, d’après leurs découvertes, qu’il a eu au cours de l’évolution plus d’une façon pour les espèces animales de construire un esprit hautement intelligent. Nous avons interrogé Jennifer Ackerman, auteur de The Bird Way, sur ce que cela implique pour notre perception non seulement des oiseaux, mais aussi de nous-même.

Ci-dessus : Les corvidés sont réputés pour leur intelligence, alors qu’ils sont dépourvus du néocortex présent dans la structure du cerveau des primates « intelligents ». Cependant, selon J. Ackerman : « De nouvelles découvertes montrent que les oiseaux ont en fait une structure cérébrale comparable à celle du néocortex, même si elle prend une forme différente. » 

Les naturalistes pensaient autrefois que le petit cerveau des oiseaux n’était capable que de réaliser des mécanismes de pensée simples. Mais, aujourd’hui, l’expression désobligeante  “tête de linotte”, qui qualifie une personne écervelée, n’est plus d’actualité. Autrice du best-seller du New York Times “The Genius of Birds”, Jennifer Ackerman fait, dans son dernier livre “The Bird Way”, la lumière sur la nature de l’intelligence animale au travers de celle des oiseaux . En combinant les résultats de la recherche scientifique récente et son expérience personnelle, elle nous livre un  regard nouveau sur la façon dont les oiseaux jouent, parlent, sont parents, travaillent et pensent, nous montrant qu’ils sont capables d’activités que nous considérions autrefois comme uniques à notre propre espèce – comme la manipulation, l’altruisme ou la communication entre espèces – et prouvant ainsi que nos amis les oiseaux sont bien plus complexes que nous ne l’avions jamais imaginé. Comme l’a dit l’éminent biologiste E. O. Wilson : « Quand vous avez vu un oiseau, vous ne les avez pas tous vus. »

Vous écrivez depuis de nombreuses années à propos de  la science et de la nature, en allant du corps humain aux océans : pourquoi avez-vous choisi d’étudier le cerveau des oiseaux ?

En tant qu’écrivain scientifique aimant les oiseaux, je suis également une lectrice assidue de revues scientifiques. Or, j’ai remarqué récemment la grande abondance de nouvelles recherches consacrées au comportement des oiseaux et j’ai  compris alors que notre compréhension des oiseaux était en train de changer. Je suis passionnée d’ornithologie depuis mon enfance et j’avais l’habitude de me demander « Que se passe-t-il dans leur tête lorsqu’ils vaquent à leurs occupations quotidiennes ? » Dès lors, l’idée que les oiseaux soient plus intelligents que nous le pensions me fascine. J’ai toujours cru que les oiseaux étaient très ingénieux, mais écrire ces livres a été une révélation ! Comment un cerveau si minuscule peut-il avoir d’aussi remarquables capacités ?

Pourquoi utiliser des expressions comme « à la manière des oiseaux » ou le mot “génie », et pas uniquement le mot “intelligence » ?

J’aime le mot « génie » parce que, dans ma compréhension, il désigne non seulement des capacités exceptionnelles mais il inclut aussi le « génie » de l’évolution : comment l’adaptation évolutive crée des compétences extraordinaires pour trouver des solutions. Il y a quelques années, j’ai été intriguée par la citation « Il y a une manière d’être des mammifères et une autre pour les oiseaux » et j’ai compris ce qu’elle signifiait : les oiseaux ont ces capacités mentales remarquables parce qu’ils ont dû résoudre des problèmes écologiques et sociaux difficiles, tout comme nous. J’espère que le titre de mon dernier livre soulève la question suivante et qu’il incitera les gens à en apprendre davantage sur ces têtes pensantes emplumées : « Les oiseaux ont-ils vraiment une « façon » qui leur est propre d’être dans le monde ? » .

Les humains ont parfois tendance à anthropiser d’autres créatures pour tenter de comprendre leurs comportements. Comment surmonter cette manière de réfléchir ?

L’idée d’attribuer aux espèces non humaines des qualités mentales que nous considérons comme uniques à l’homme est très controversée … Pour ma part, mon travail consiste à vulgariser la « science pure » et à la rendre à la fois attrayante et précise. Je pense que la façon dont nous comprenons les autres créatures est en train de changer et que les oiseaux jouent un rôle clé dans cette évolution.

Dans leurs recherches, les scientifiques observent des capacités et des comportements insoupçonnés que nous pensions réservés à l’humain. Par exemple, des membres de la famille des corvidés ont été décrits en train de jouer dans la neige pour le plaisir ou en train d’assembler des outils complexes inaccessibles à un enfant de 3-4 ans ; et des oiseaux lyres apprennent les cris d’autres espèces afin de tromper leurs congénères. Certains oiseaux, comme des mésanges japonaises, peuvent même utiliser des règles grammaticales pour décoder des combinaisons de cris d’alarme, alors que des Cratéropes bicolores  produisent des cris d’alarme qui semblent encoder des messages qui ne s’adressent pas à leur propre espèce. Ces deux exemples forment d’intéressants parallèles avec le langage humain. Je dirais donc qu’il ne s’agit pas d’anthropomorphisme, mais d’observation et de recherche scientifiques.

Vous expliquez dans votre livre  les comportements extraordinaires de nombreuses espèces d’oiseaux différentes. Quel est votre oiseau préféré ?

C’est une question à laquelle il est très difficile de répondre ! J’avais l’habitude de répondre les mésanges, car j’ai toujours été étonnée par leurs capacités de communication complexes, mais l’oiseau auquel je me suis attachée en écrivant “The Bird Way” est le Perroquet Kéa. Ces oiseaux sont tellement comme des enfants – intelligents et explorateurs – et ils ont même un « cri de jeu » qui les incite à jouer et à se poursuivre les uns les autres, ce qui est assez amusant à observer.

L’un des problèmes des humains qui exploitent la nature est que nous nous considérons comme « supérieurs » aux autres espèces. Depuis votre point de vue sur l’intelligence des oiseaux, que pensez-vous de cela ?

Les oiseaux montrent qu’il existe différentes façons de configurer un cerveau pour qu’il devienne intelligent. En effet, le comportement des oiseaux nous indique que nous ne sommes pas aussi uniques que nous le pensions. Rachel Carson a écrit : « Plus nous parviendrons à concentrer notre attention sur les merveilles de la vie qui nous entoure, plus nous éviterons la tentation de leur destruction. »
Plus que jamais, les oiseaux sont menacés par la destruction de leurs habitats et par le changement climatique. Nous devons nous assurer que nous en apprendrons davantage sur eux (et sur d’autres espèces) à l’avenir. J’espère que mes livres permettront d’apprécier que les oiseaux sont des espèces douées de créativité et de capacité d’innovation et réfléchies. En comprenant mieux l’intelligence des espèces non humaines, nous serons peut-être amenés à traiter la nature avec tout  le respect qu’elle mérite.

Source Birdlife : 

Traduction de l’interview par Mirea Peris de Jennifer Ackerman, autrice de “The Bird Way, on what this means for our perceptions not only of birds, but also ourselves”. https://www.birdlife.org/news/2021/12/10/the-bird-way-a-new-look-at-the-true-nature-of-avian-intelligence/

 

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