© Etienne Bauvir

Une petite équipe d’ornithologues et de naturalistes travaille depuis 2012 pour la conservation de la chevêche d’Athéna, dans cette écorégion wallonne, située au sud de la Meuse et du Condroz et au nord de l’Ardenne, .

D’emblée, nous avons voulu en faire un projet participatif en sensibilisant, progressivement, à notre cause le monde rural et les différents acteurs régionaux de la conservation de la nature. Nous nous réjouissons d’ailleurs des résultats engrangés en 10 ans de protection des chevêches dans notre région.

 

Qu’avons-nous réalisé en faveur des chevêches dans cette région ?

© Etienne Bauvir

Un état des lieux préalable
Sur base des données historiques de l’enquête sur les oiseaux nicheurs de Famenne — Atlas de Lesse et Lomme — de la fin des années 1980 [19], nous avons actualisé les relevés des territoires à chevêches, à partir de 2012, en procédant à des prospections nocturnes de recensements de l’espèce. Progressivement, nous avons étendu nos recherches à l’ensemble de l’écorégion Famenne-Calestienne, qui couvre +/- 1 300 km2, tous types d’occupation du sol confondus (dont +/-700 km2 en zone ouverte [semi] agricole favorable à la chevêche). Cette région concerne 19 communes et +/-170 localités, soit 8 % de la Wallonie. Dès la 2e année de suivi, nous pouvions déjà dégager une tendance de l’effectif régional de cet oiseau et, malheureusement, constater une régression de près de 75 % des couples nicheurs, en moins de 25 ans ! Nous avons répété les inventaires chaque hiver, jusqu’à présent.

Une mise à disposition de nichoirs
Sur base de nos explorations de terrain et compte tenu de la subsistance de biotopes paraissant encore un tant soit peu favorables aux chevêches, il nous est vite venu à l’esprit d’installer des nichoirs pour pallier le manque de cavités de nidification. C’est ainsi que nous en avons fabriqué et installé plus de 300 entre 2013 et ce jour. Ils ont été posés dans les biotopes les plus favorables, entre autres là où les oiseaux sont présents actuellement ou l’étaient début des années 2000.

À noter que des nichoirs avaient déjà été installés dans la région entre 1995 et 2005, à l’initiative de Stéphane Tombeur (CNB), et qu’ils ont probablement contribué à maintenir localement quelques petits îlots de populations de chevêches.

Nous avons opté pour le modèle de nichoir conçu par l’association NOCTUA et l’avons progressivement perfectionné, le rendant encore plus inaccessible aux prédateurs naturels comme la fouine, par exemple [20] [21] :

2 ou 3 nichoirs ont été installés par territoire occupé par les oiseaux, de sorte de leur offrir des possibilités de refuges supplémentaires, et espérer ainsi qu’ils soient moins tentés de visiter les cheminées des habitations proches qui constituent des pièges pour eux.

Autant que possible, nous avons évité d’installer des « nichoirs-pièges », soit trop près des routes passantes, des habitations, des cours d’eau ou encore dans des endroits qui risquaient de mettre l’oiseau en péril, car trop visibles ou trop fréquentés par des prédateurs.

Et, le plus souvent, il a été tenu compte du pour et du contre pour les oiseaux, car, comme le souligne Jacques Bultot (Noctua), « un nichoir bien installé vaut mieux que 10 mal placés » ; cette réflexion nous a servi de leçon !

Une augmentation significative de l’effectif nicheur
Parallèlement à l’installation des nichoirs, nous avons progressivement constaté une augmentation de l’effectif des chevêches, passant de 75 « couples » en 2012 à +/- 140 en 2021, dont 70 % nichent actuellement en nichoirs, des cavités « comme les autres » pour ces oiseaux !

Il est vraisemblable qu’avant l’installation des nichoirs, les oiseaux se reproduisaient dans des cavités (semi) naturelles devenues souvent très précaires — nous en avons découvert certaines —, garantissant peu de succès de nidification, notamment du fait de leur exposition à la prédation, des accidents prévisibles dès l’émancipation des jeunes ou encore des atteintes par les intempéries.

Les nichoirs que nous installons, contrôlons et entretenons régulièrement, permettent sans doute à davantage de poussins de s’émanciper, d’autant que nous renouvelons la litière déposée dans le fond de la caisse au moins 2 fois en période de nidification. Cela permet aux poussins de grandir dans un environnement sain et de s’envoler le plus tard possible, ce qui ne doit guère être le cas lors de nidifications dans les cavités naturelles restantes, souvent plus exiguës et souillées, obligeant les poussins à s’envoler prématurément ;

Grâce à l’installation de nichoirs, la tendance au déclin de la petite population de chevêches a pu être inversée ; la chute des effectifs de cet oiseau était probablement due en grande partie à un déficit annuel récurrent de jeunes oiseaux à l’envol.

 

D’autres actions de restauration et de sécurisation des habitats à chevêche

© Etienne Bauvir

Plantation d’arbres et de haies
À l’instar de certaines associations qui œuvrent pour la conservation des chevêches, nous avons commencé à planter des boutures de saules, à conduire en têtards, et avons procédé localement à l’entretien de vieux vergers, à hautes tiges, subsistants.

Ce travail de plantation d’arbres, à tailler en têtards, (pas nécessairement des saules) et de haies, va se poursuivre, notamment dans le cadre du projet « Yes, we plant » actuellement en cours en Région wallonne [22].

Mais, nous regrettons que trop d’arbres remarquables et haies disparaissent encore prématurément de nos campagnes, ou soient régulièrement « maltraités », et que le législateur n’ait toujours pas mis en place un réel dispositif de conservation, digne de ce nom, des gros arbres et haies à la campagne, notamment en tenant compte des exigences des espèces inféodées au milieu agricole et des remarques et suggestions formulées par les biologistes et naturalistes de terrain.

Nous sensibilisons, autant que possible, les propriétaires de vieux vergers à conserver leur bien et à en assurer l’entretien et la pérennité, entre autres pour en valoriser la récolte de fruits labélisés bio.

Des abreuvoirs mortels à sécuriser, des cheminées dangereuses à grillager
La sécurisation des abreuvoirs, en prairie, en vue d’éviter les noyades, nous tient à cœur. Cela fait aussi partie de nos priorités à l’avenir et nous avons déjà réalisé ponctuellement quelques aménagements « anti-noyade ». Le plus souvent, une planche flottant à la surface de l’eau suffit à éviter le pire ; elle sera également bénéfique aux insectes et autres petits mammifères. Une petite échelle, en treillis de plastique ou en bois, adossée au bord de l’abreuvoir s’avère aussi efficace. Mais il s’agit d’un programme de longue haleine, à réaliser en concertation avec les exploitants agricoles, tant le nombre d’abreuvoirs à sécuriser est important !

La chute des oiseaux, dans les cheminées des habitations, nous interpelle également beaucoup. Nous pensons que pas mal d’oiseaux doivent y perdre la vie, notamment les cavernicoles qui sont davantage tentés de visiter cette cavité dangereuse dans leur environnement familier.

Certains habitants, proches des sites à chevêches, ont pris l’initiative de poser un grillage au sommet de leur cheminée, lorsque nous leur avons exposé les risques d’accident pour nos petites protégées. À l’avenir, l’outil législatif pourrait être d’un grand secours ; reste à imaginer l’implémentation d’un système de protection qui reste satisfaisant dans la durée et qui puisse être adopté par un maximum de propriétaires.

© Etienne Bauvir

Pallier la pénurie de refuges à chouettes
Nous allons aussi généraliser, petit à petit, l’installation de caisses refuges au pied des arbres qui supportent les nichoirs, afin de permettre aux poussins de s’y réfugier en toute sécurité. [23]

De même, l’installation de petites boîtes-abris sur les branches basses ou le tronc des arbres est envisagée. Ces mesures de conservation supplémentaires devraient épargner la vie d’oisillons qui sont fort exposés aux intempéries, à la prédation, voire au piétinement par le bétail, avant qu’ils ne puissent se réfugier sur des reposoirs plus élevés et accéder aisément à la ramure des arbres.

Contenir des actes insensés
Après avoir observé quelques actes de sabotage (vol d’une nichée [24], dépôts d’œufs de poule au sein de la ponte de chevêche, faisant échouer la nidification, dépôts d’objets…), nous avons commencé à installer des cadenas sur certains nichoirs et allons les équiper progressivement de ce dispositif anti-intrusion. D’autres moyens sont aussi mis en œuvre afin de surveiller et identifier les auteurs de ces délits et les faire poursuivre pour infraction à la Loi sur la Conservation de la Nature.

Des conférences dans des écoles et auprès des associations, des comptes-rendus d’activité
Nous avons dispensé des conférences dans les écoles et auprès des associations, sur la conservation des oiseaux, des rapaces nocturnes en particulier. Ce travail de sensibilisation va se poursuivre, notamment à l’attention des plus jeunes, dès que les conditions sanitaires actuelles seront assouplies.

Les partenaires de projet sont régulièrement tenus au courant de l’avancement de nos travaux, soit lors de conférences, de rencontres sur le terrain ou encore par la transmission de rapports d’activités périodiques.

Pour aller plus loin :

  • Lire la présentation de la Chevêche d’Athéna : cliquez ici
  • Lire l’article « Statut de conservation de la Chevêche d’Athéna » : cliquez ici

 

Bibliographie :

[1] Th. Mebs & W. Scherzinger (2006) : Rapaces nocturnes de France et d’Europe, Delachaux & Niestlé, 398 p.

[2] Ph. Smets (Steenuilwerkgroep Natuurpunt) « 28 jaar steenuilonderzoek in Vlaams-Brabant » in Uilen n° 9 (décembre 2019) — pages 102-111.

F. Bathy et al. (2021) : rapport d’activité 2016-2020 sur la conservation de la chevêche d’Athéna en Famenne-Calestienne.

[3] M. Grüebler – Swiss Ornithological Institute (2015) : Survival, range use and dispersal of little owls in Southern Germany – New insights and implications for conservation, in : 6th International Little Owl Symposium – 20-22 03/2015 Nieuwvliet Zeeuws-Vlaanderen (Nederland) : annual variation in home-range size.

[4] Les observations relatives au déplacement des oiseaux sont issues de l’analyse des données du baguage et du contrôle des oiseaux en période de nidification (en Famenne-Calestienne). Cette méthode de marquage et de suivi des oiseaux qui nichent en nichoirs — et en particulier des chevêches d’Athéna — est très peu intrusive ; elle n’affecte en rien le bon déroulement de la nidification. Nous la pratiquons avec beaucoup de sérénité sur cette espèce particulièrement tolérante. Les bagues sont mises à disposition par l’IRSNB, organisme de certification des bagueurs. — Centre belge de baguage – BeBirds, que nous remercions, de même que les collaborateurs-bagueurs qui nous font part de leurs observations et participent au financement du système. L’autorisation de baguage en notre possession est délivrée par le SPW — Wallonie Environnement, à titre de recherche scientifique et, notamment, par dérogation à la loi sur la conservation de la nature.

[5] R. van Harxen, P. Stroeken & Th. Boudewijn, dans « V. Keller, S. Herrando, P. Vorisek & al. (2020) : European Breeding Birds Atlas 2 : Distribution, Abundance and Change. — European Bird Census Council & Lynx Edicions, Barcelona, 967 p.

[6] N. Issa & Y. Muller coord. (2015) : Atlas des oiseaux de France métropolitaine – Nidification et présence hivernale – LPO/SEOF/MNHM – Delachaux et Niestlé, Paris, 1408 p.

[7] Birdlife Suisse – https://birdlife.ch/index.php/fr/content/la-cheveche-dathena-se-retablit-en-suisse-grace-aux-efforts-coordonnes ; consulté le 05/07/21 à 16h05.

[8] En Alsace (LPO Alsace, B. Scaar et al.), dans le Bade-Würtemberg (NABU – Nature and Biodiversity Conservation Union) dans les Yvelines (ATENA 78 – Association Terroir et Nature en Yvelines, D. Robert et al.), dans la région de Charleroi (NOCTUA, J. Bultot, Th. Votquenne & al.), en Flandre (Steenuilwerkgroep Natuurpunt, Ph. Smets et al.), aux Pays-Bas (STONE Nederland, R. van Harxen et al.), en Famenne-Calestienne (projet en partenariat multiple) …

[9] L. Lippens & H. Wille, (1972) : Atlas des oiseaux de Belgique et d’Europe occidentale, Lannoo, Tielt.

[10] P. Devillers, W. Roggeman, J. Tricot, P. del Marmol, Ch. Kerwijn, J-P. Jacob, A. Anselin (1988) : Atlas des oiseaux nicheurs de Belgique — Institut Royal des Sciences naturelles de Belgique — Bruxelles.

[11] J-P. Jacob, C. Dehem, A. Burnel, J-L. Dambiermont, M. Fasol, T. Kinet, D. van der Elst & J-Y. Paquet (2010) : Atlas des oiseaux nicheurs de Wallonie 2001-2007 — Aves & Région wallonne, Gembloux. 524 p. et comm. pers. Jean-Yves Paquet (2019) — COA Aves — Natagora.

[12] L. van de Velde — Vogelwerkgroep Zomergem (2019) : Inventarisatie steenuilen Zomergem 2014-2019 (- 50 % steenuilenterritoria tussen 2014 en 2019).

[13] G. Vermeersch, A. Anselin, K. Devos, M. Herremans, J. Stevens, J. Gabriëls & B Van der Krieken. (2004) : Atlas van de Vlaamse Broedvolgels : 2000 – 2002 – Instituut voor Natuurbehoud, 498 p.

[14] CA. Hallmann, M. Sorg, E. Jongejans, H. Siepel, N. Hofland, Heinz Schwan, & al. (2017) : More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas. in « https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0185809 » – consulté le 04/07/21 à 20 h 30.

[15] R. van Harxen & P. Stoeken (STONE Nederland) (2019) : « 2019, wat een steenuilenjaar ! » in Uilen n°9 (décembre 2019) – pages 90-97 ;

[16] R. van Harxen : (2015) : Overlevering van jonge steenuilen gedurende het eerste levensjaar in periode 1973-2009 – 6th International Little Owl Symposium – 20-22 03/2015 – Nieuwvliet Zeeuws-Vlaanderen (Nederland) – Little Owls in the Netherlands – Organization, Research and Protection – STONE Nederland.

[17] Roulex 45 — Wikipedia — Travail personnel, CC BY-SA 4,0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=3531872, consulté le 07/07/21 à 20 h 40. /et https://www.iweps.be/indicateur-statistique/densite-infrastructures-de-transport, consulté le 05/07/21 à 17h30

[18] M. Grüebler – Swiss Ornithological Institute (2015) : Survival, range use and dispersal of little owls in Southern Germany – New insights and implications for conservation, in : 6th International Little Owl Symposium – 20-22 03/2015 Nieuwvliet Zeeuws-Vlaanderen (Nederland) : « répartition des causes de mortalité de 180 chevêches retrouvées pendant la durée d’une étude de 2009 à 2013, dans le Wurtemberg ».

[19] J-P. Jacob & M. Paquay (1992) : Oiseaux nicheurs de Famenne — Atlas de Lesse et Lomme, Aves, Liège.

[20] Nous tenons bien volontiers les plans de construction de ce nichoir à disposition des personnes intéressées par la conservation de cette espèce — francis.bathy@skynet.be.

[21] La fouine bénéficie d’un statut de semi-protection en Wallonie. En tout cas, contrairement à certaines croyances populaires, cette espèce ne peut être massacrée pour chaque petit acte de prédation ou dérangement qu’elle commet. Elle ne peut légalement être piégée ou tuée que dans des cas bien précis, après avoir tenté de l’éloigner sans lui nuire ! Une fouine, qui squatte un nichoir et/ou en détruit le contenu, ne peut donc pas être inquiétée ! À nous de concevoir des nichoirs qu’elle peut difficilement visiter…

[22] https://yesweplant.wallonie.be/home.html, consulté le 04/07/21 à 20 h 50.

[23] M. Juillard (1985) — La Chouette chevêche — Nos Oiseaux, Société romande pour l’étude et la protection des oiseaux, 243 p.

[24] Plainte a été déposée auprès de l’Unité Anti-Braconnage du Département de la Nature et des Forêts.