Jeudi 28 février 2019
Monsieur le Président,
Dans la présentation de votre projet politique pour accéder à la présidence du CdH vous notez, à juste titre, que « les citoyens aspirent à un retour de l’action politique vers les fondamentaux : …. La nature»
Nous soutenons sans réserve votre objectif de revenir aux fondements de notre planète. C’est pourquoi, nous voudrions attirer votre attention sur les dérives de la gestion du grand gibier qui durent depuis de nombreuses années, qui met à mal l’humanisme prôné par votre parti (en ce qu’elles génèrent des tensions sans cesse croissante entre les usagers des milieux ruraux) mais aussi la nature, le fonctionnement des écosystèmes et les revenus économiques de ceux qui en dépendent.
La biodiversité wallonne est en régression continue. 31 % des espèces animales et végétalesétudiées sont menacées de disparition à l’échelle de la Wallonie et près de 9 % ont déjà disparu du territoire régional. Les causes sont bien connues : pratiques agricoles encore trop intensives, fragmentation des milieux naturels suite à l’extension des milieux urbanisés, dérèglement climatique … Toutes ces causes sont liées au développement de notre société tournée vers le seul mieux-être matériel qui a suffisamment démontré qu’il n’était nullement durable. C’est ce que la jeunesse revendique inlassablement dans les villes européennes : inverser urgemment la dégradation de notre petiteplanète. Avec chacun sa part de responsabilité. Et ils ont bien saisi à quel point celle du politique est majeure en tant que « gouverneur de la cité » Parmi ces pressions, il en est une bien plus inacceptable encore que les autres car sa légitimité sociétale peut être fondamentalement remise en cause : la gestion désastreuse des populations de grands gibiers et la chasse pratiquée dans certains territoires wallons.
Pour permettre à quelques-uns d’assouvir leur loisir, leur plaisir de tuer, pour leur simple prestige mais aussi et surtout pour équilibrer leur budget de location des territoires publics, on maintient, on développe et on entretient une population de grand gibier en surnombre et donc en total déséquilibre avec le milieu naturel. Les conséquences sont catastrophiques pour la faune et la flore dont la diversité continue à s’appauvrir suite à la disparition de nombreuses espèces vivant au sol et à une diversification réduite de nos forêts. Cela conduit à une faible résilience de nos forêts, notamment face aux changements climatiques, comme en témoignent les dépérissements des principales essences (scolyte de l’épicéa, dépérissement des hêtres et chênes, maladie desfrênes….). Mais également à une incapacité pour ses gestionnaires d’en assurer la diversité d’essences, pourtant gage d’une résistance accrue aux aléas climatiques déjà en cours.
A cause de la surdensité des ongulés sauvages, il est devenu impossible aujourd’hui, sur des dizaines de milliers d’ha, de régénérer les écosystèmes forestiers avec d’autres essences que le hêtre et l’épicéa (parce que moins appréciées par le gibier), essences particulièrement fragiles et dont la disparition est annoncée dans les prochaines décennies car elles ne résistent pas aux changements climatiques et au stress hydrique prévu et déjà sensible depuis plusieurs étés consécutifs. Même ces essences doivent être protégées contre la dent du gibier. En trente ans, le nombre de cerfs a triplé, celui des sangliers a quintuplé. Les chasseurs ont ainsi démontré leur incapacité à réguler les populations.
Qui plus est, ils défendent le nourrissage du sanglier, soi-disant dissuasif afin d’éviter les dégâts aux cultures mais qui est en fait destiné à maintenir des populations en surnombre en supprimant le caractère régulateur que pourraient avoir les conditions climatiques hivernales. Les périodes de chasse au sanglier ont été allongées de plus de deux mois, limitant encore d’autant l’accès du public aux espaces naturels. La gestion du grand gibier par une partie influente des chasseurs est dans une spirale totalement infernale.
La forêt, et a fortiori les forêts publiques, ne peuvent plus continuer à être dominée par une seule activité totalement exclusive qui met en plus en péril non seulement la résilience même de l’écosystème forestier. C’est bien de la survie même de l’état de forêt que le XXI° siècle va devoir se préoccuper. Outre cet avenir des écosystèmes forestiers, ce sont aussi toutes les autres activités socio-économiques associées (revenus des propriétaires publics et privés, production de bois, tourisme, biodiversité, …) qui aujourd’hui sont impactées.
L’explosion des droits de location de chasse – voulues et assurées par les chasseurs – est une vraie bulle financière dont les communes forestières wallonnes sont devenues dangereusement dépendantes. Sous pression, elles remettent en cause les contraintes proposées (nourrissage, plans de tir, clôtures, nombre de jours de chasse les week-ends, fréquentation du public, rapports au monde agricole local…) par l’administration alors que ces contraintes ont pour but de maintenir un équilibre entre tous les usages de la forêt y compris le tourisme, dont la contribution au PIB wallon est au moins 10 x plus importante que l’agriculture, la sylviculture et la chasse réunies. Le fait de payer, même cher, ne donne pas tous les droits.
Ces dérives ont déjà été dénoncées depuis des décennies par de nombreux scientifiques, environnementalistes, naturalistes, agriculteurs et même des chasseurs. Sans parler de l’administration même du Ministre en charge de la nature et des forêts. Tous ont mis en garde les responsables politiques de la bombe que constituaient ces concentrations d’animaux autour des points de nourrissage si une maladie venait à toucher ces espèces en surdensité.
L’arrivée de la peste porcine africaine en Gaume, son extension rapide et sa très récente arrivée en Ardenne démontre que les populations doivent absolument être décimées (au sens étymologique du terme) et que les sites de nourrissage doivent immédiatement disparaître. Mais rien n’y fait ! Le ministre René Collin maintient cette pratique de densités explosives, dans les territoires encore indemnes de ce virus, comme l’Ardenne, jusqu’à ce dernier week-end.
Dans la zone de vigilance au Nord de la zone tampon, la destruction complète du sanglier aurait dû être ordonnée dès l’apparition de la maladie pour protéger toute l’Ardenne et le reste de la Région wallonne.
Aucun élément scientifique ne démontre que maintenir les sites de nourrissage limite effectivement la dispersion des sangliers, car ils peuvent passer d’une zone de nourrissage à une autre. Et que, au contraire, ces sites de nourrissage concentrant les sangliers pourraient faciliter la dispersion des virus par des porteurs sains. Au contraire de ce qui est expliqué par les chasseurs, la prévalence de la maladie n’est pas de 100%.
Il est aussi assez évident que les clôtures installées actuellement en Gaume sont et seront inefficaces car elles ne sont pas hermétiques (ponts, contournement de villages, trous créés par la chute d’arbres, par les sangliers eux-mêmes, …) et qu’elles n’empêchent pas tous les autres animaux forestiers (renards, ratons laveurs, oiseaux, …) qui peuvent rencontrer un cadavre de disperser le virus.
Les clôtures ont pour objectif de freiner le processus d’avancée irrémédiable de l’épidémie et de se donner le temps de créer le vide de sangliers en périphérie. Et cela n’a pas été fait !
Les conséquences économiques de l’extension de la PPA sont dramatiques tant pour les autres activités forestières comme l’exploitation du bois, mais aussi le tourisme et surtout pour l’image de l’Ardenne. Sans parler des revenus des propriétaires publics et privés, des opérateurs de l’Horeca et des gites et demain des agriculteurs. Ce sont déjà plusieurs millions d’euros qui ont été dépensés sans aucune garantie de succès et une partie significative de la nouvelle économie wallonne dépend des espaces naturels et de leur accessibilité. Si la maladie s’étend vers le nord comme elle est en train le faire (la forêt de Mellier est aujourd’hui touchée), elle passera dans un massif forestier pratiquement continu sur toute l’Ardenne. Elle sera alors définitivement inarrêtable. Le GW vient de voter 4 Millions d’€ en faveur de la filière bois pour la seule zone fermée de Gaume. Quel sera le prix réclamé par cette même filière quand l’Ardenne entière sera inaccessible ?
Il est impossible dans ces conditions de continuer à bricoler avec des clôtures et des interdictions de l’accès des forêts aux exploitants et au public. Il est tout à fait possible que la Foire de Libramont et notamment ses activités forestières soient perturbées parce qu’on n’a pas voulu mettre en œuvre les mesures urgentes nécessaires lorsqu’il était encore temps. Et à cette Foire, tous les acteurs impactés seront réunis. C’est dans 5 mois. Une éternité pour la Peste porcine.
Le seul moyen de limiter la dispersion est une diminution radicale voire totale des densités en dehors des zones contaminées, dans une très large bande tampon, là où en fait elles sont bien plus importantes qu’en Gaume. Si le nourrissage doit persister, c’est pour qu’il devienne temporairement un simple appâtage et qu’il permette de concentrer les individus pour faciliter leur totale élimination dans le meilleur respect possible du bien-être animal.
Il est urgent, Monsieur le Président, que le CDH, qui assure la gestion de ce portefeuille de façon quasiment ininterrompue depuis la régionalisation de cette matière, prenne ses distances avec ceux qui amplifient la catastrophe. Qu’il mette réellement en œuvre les moyens de faire chuter drastiquement les populations en place. Et qu’il défende enfin des mesures radicales dans l’intérêt de tous les citoyens :
- diminution drastique des densités en Wallonie (80%) avec mise en œuvre de plans d’élimination, par des équipes spécialisées indépendantes, en support d’un effort chiffré et monitoré imposé aux chasseurs,
- identification claire des responsabilités des uns et des autres, de manière à éviter de dédommager ceux qui ont été (importation de sangliers) et sont encore (maintien des surdensités dans les zones concernées et dans un large périmètre tampon) responsables du contexte difficile de gestion de la catastrophe actuelle,
- suppression du nourrissage dissuasif, des cultures de maïs en forêt et en bordure de forêts, des clôtures, … et de tous les artifices qui maintiennent les effectifs élevés en empêchant le peu de sélection naturelle d’assurer encore son œuvre,
- développement d’un programme scientifique d’envergure pour mettre en place un monitoring des densités de grand gibier et des activités cynégétiques, financé par le secteur de la chasse et sous le contrôle d’un Comité scientifique indépendant,
- généralisation de la gestion en régie, afin d’assurer une gestion correcte des populations par une large diversité de chasseurs, et sans accaparement de la forêt publique toute la durée d’un bail classique de 9 ou 12 ans,
- contribution des chasseurs qui n’appliquent pas les actions de régulation indispensables et contraignantes à la gestion financière de la crise de la PPA,
- restauration de l’indépendance totale de l’Unité Anti-Braconnage, comme service de contrôle externe des infractions liées au code forestier, à la chasse, la pêche et la conservation de la nature,
- lancement d’un débat régional pour enfin moderniser la loi sur la chasse dont la philosophie de base date de 1882 (Léopold II) et pour prendre en compte les nouvelles attentes sociétales sur la privatisation de fait de l’espace public, l’accès à la nature, le bien-être animal, …
Au nom de l’humanisme et du respect du patrimoine naturel, nous vous demandons, Monsieur le Président, de tout mettre en œuvre pour que cessent les dérives actuelles et que des mesures urgentes de contrôle des densités soient mises en œuvre.
Les associations signataires de la présente lettre souhaiteraient pouvoir être tenues informées des suites que vous y réserverez. Nous restons bien entendu à votre disposition si vous souhaitez organiser une réunion afin de discuter plus avant de ce dossier. Nous ne manquerons pas également de tenir informé notre public sur ce courrier.
Veuillez croire, Monsieur le Président, à l’expression de notre haute considération.
Jean-François Buslain, Directeur LRBPO
Céline Tellier, Secrétaire Générale adjointe IEW
Marc Dufrêne, Président Ardenne & Gaume
Philippe Funcken, Directeur Natagora
Philippe Corbeel, Représentant NHL
Léon Woué, Président CNB