Selon la Bible, au début de la Genèse, « Dieu dit : faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance, et qu’il domine sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toutes les bêtes sauvages et toutes les bestioles qui rampent sur terre ». Ce texte a été écrit par les hommes en se mettant au sommet de la hiérarchie des vivants.
Depuis l’antiquité, les philosophes se sont beaucoup interrogés et opposés sur la place respective de l’homme et de l’animal dans la nature : l’homme est-il, parmi les vivants, extérieur à la nature et supérieur à l’animal, ou non, et en quoi leur est-il différent ? C’est avec Descartes (Discours de la Méthode, VIème partie), au 17 ème siècle, que s’impose l’idée que l’homme peut « par sa connaissance et sa maîtrise de la force et des actions du feu, de l’eau, de
l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui l’environnent, se rendre comme maître et possesseur de la nature ». Ce qui ne voulait pas dire que l’homme pouvait disposer de la nature comme bon lui semble …
Ensuite, par sa science et le développement de sa technologie, l’homme occidental est parti à la conquête du monde, imposant progressivement son modèle socio-économique. Il ne s’est plus beaucoup soucié alors du traitement qu’il infligeait à la nature et aux animaux, considérant que les ressources offertes par la planète terre étaient à son entière disposition et inépuisables. Mais il a fini par se rendre compte, ces dernières décennies, que la nature devait être protégée, au risque sinon qu’il ne détruise lui-même son propre biotope.
Et puis, la prise de conscience que les animaux, comme l’homme, étaient sensibles et pouvaient souffrir psychiquement et physiquement s’est imposée, comme une évidence. Des mesures de protection de la nature et des lois condamnant la maltraitance animale sont alors progressivement apparues dans tous les pays et dans les lois.
L’homme a donc pris conscience progressivement que les écosystèmes naturels et la biodiversité (toutes les formes du vivant et leurs interactions dans les milieux naturels) doivent être protégés, pour son propre bien-être et au profit des générations futures.
C’est dans ce contexte que, de nos jours, le chasseur prétend être le « gestionnaire de la nature ». Nous ne discuterons pas ici de ce qu’est devenue « la nature », elle qui a bien besoin d’être protégée et restaurée, mais du rôle que se donnent les chasseurs dans les milieux naturels où ils chassent (les territoires).
Comment la chasse s’inscrit-elle dans cette évolution des mentalités ? Telle qu’elle se pratique en Wallonie, la chasse remplit-elle, oui ou non, un rôle indispensable à l’équilibre des milieux naturels (forêts, bois, plaines, campagnes, zones humides, marais, étangs, cours d’eau …), là où la faune doit trouver gîte, nourriture et possibilités de reproduction ? Si la gestion des espaces naturels nécessite des actions de protection et de restauration, il faut alors se demander en quoi la chasse est utile ou, au contraire, si elle est, par ses excès, un délassement consommateur de nature.
La prise en compte de la sensibilité animale à la douleur doit aussi intervenir dans tout débat relatif à la chasse, comme l’exprime d’ailleurs explicitement une proposition de résolution (1) au Parlement wallon du 16 décembre 2003 exigeant « des modes et des pratiques de chasse qui garantissent la plus grande efficacité de mise à mort en limitant la souffrance infligée ». C’est, du reste, déjà prévu dans la loi du 14 août 1986 (2) relative au bien-être des animaux (qu’ils soient sauvages ou domestiques) qui prévoit que, à la chasse, « la mise à mort doit être pratiquée par la méthode la plus sélective, la plus rapide et la moins douloureuse pour l’animal ».
« Les alibis classiques des chasseurs sont alimentaires (on chasse pour se nourrir), diététiques (la viande est une nécessité nutritionnelle), historiques (l’humain était à l’origine chasseur et mangeur de viande), naturalistes (il est conforme à la nature de traiter les animaux de telle ou de telle manière), écologiques (on chasse pour réguler), économiques (telle activité est légitime car elle produit des emplois et de la richesse), traditionnels (une activité ininterrompue peut être évoquée), etc. Autant d’alibis qu’une approche argumentative de l’éthique animale permet de démonter ».
Jean-Baptiste Jeangène Vilmer (« L’éthique animale » – 2015).
Autrefois nécessaire à l’homme pour se nourrir, se vêtir, ou se défendre, la chasse a évolué au point de devenir, surtout depuis la seconde moitié du 20 ème siècle, une activité souvent peu respectueuse de la faune et de ses biotopes naturels.
En effet, face à la dégradation généralisée de notre environnement, à la réduction des espaces naturels et à la diminution de la faune, la chasse de loisir a été transformée en une activité absurde. En effet, afin de pouvoir offrir, malgré tout, de beaux tableaux à ses actionnaires, elle élève, nourrit abondamment (sanglier, par exemple) et introduit artificiellement dans la nature (perdrix, faisans, par exemple) des animaux d’élevage en quantités énormes sur de grands territoires dans le seul but de les chasser.
La chasse n’est plus une tradition exercée par un chasseur pour se nourrir, faiblement armé et connaissant son territoire local. Elle a perdu son caractère indispensable d’autrefois. L’animal chassé (le gibier) n’est souvent plus qu’un objet au service d’un passe-temps pratiqué par une fraction minime de la population. Cette activité est devenue pour bon nombre de ses pratiquants un divertissement mondain, favorisant des rencontres d’affaires sur les plus grands territoires de chasse. Toutes les actions de la gestion de ces territoires convergent alors vers la volonté unique de débusquer et de tirer d’importants tableaux de chasse d’animaux dénaturés.
Pour se justifier, le chasseur se donne alors un rôle : il s’agit de « réguler » la nature et de « gérer » les populations animales (le « gibier » mais aussi les concurrents des chasseurs, les prédateurs naturels) et leurs lieux de vie.
Il y a de l’ordre de 18.000 chasseurs disposant d’un permis de chasse délivré par la Région wallonne, dont 97 % d’hommes, 24 % qui ont leur domicile en Flandre et 6 % à Bruxelles. La densité des chasseurs est à son maximum en province du Luxembourg : 64 chasseurs pour 10.000 habitants, soit à peine 0,6 %. En moyenne, les chasseurs représentent en Wallonie une minorité de l’ensemble de la population, soit +/- 0,3 % en moyenne.
Cette minorité dispose cependant d’un levier politique puissant pour influencer les dispositions légales relatives à la chasse de loisir.
Celle-ci, avec tous ses excès, est pourtant une violence faite à la nature et aux animaux, mais aussi à la sensibilité de la grande majorité des citoyens. Elle a pour effet de diminuer les effectifs de la faune sauvage indigène par la « gestion cynégétique » d’un gibier artificialisé (e.a. par les nourrissages et les introductions), par le tir et par le dérangement qui stresse l’ensemble de la faune et même les simples promeneurs. En outre, elle pollue la nature et empoisonne les animaux par l’usage du plomb dans les munitions. De plus, le lâchage d’animaux d’élevage provoque des dérives génétiques dans la faune (exemple du Canard colvert), tandis que la destruction inutile des prédateurs, comme le renard, provoque la dissémination de maladies.
Face à cette évolution de la pratique de la chasse, la LRBPO considère que la tutelle que le chasseur prétend pouvoir exercer sur le gibier, et indirectement sur l’ensemble de la faune sauvage, doit être encadrée par une exigence supérieure, gouvernée par un esprit de bientraitance des animaux et de sauvegarde de la biodiversité. Celle-ci doit être appréhendée globalement et non pas uniquement pour y « prélever du gibier ». La proposition de résolution au Parlement wallon de 2003, en conclusion du débat relatif à la chasse, considérait déjà que « la gestion d’un bien commun concerne tous les utilisateurs de la biodiversité – chasseurs, agriculteurs, touristes, promeneurs, environnementalistes, propriétaires ruraux, pouvoirs locaux – et doit dès lors se dérouler dans un climat de respect mutuel ». Ajoutons au respect la nécessité d’un dialogue entre toutes les parties concernées pour la réalisation d’un but commun.
La position de principe de la LRBPO, par rapport à la chasse de loisir et de ses excès, est la suivante : elle demande que les arguments des autres acteurs de la ruralité soient également pris en compte dans une réforme de la législation et de la réglementation relative à la chasse dans une perspective globale de durabilité des écosystèmes. Deux raisons essentielles et complémentaires l’imposent : d’une part, parce qu’il faut protéger, restaurer et conserver les écosystèmes, plutôt que de les consommer et les polluer, et, d’autre part, parce qu’il faut éviter de faire souffrir les animaux par délassement. La gestion cynégétique de la chasse de loisir, avec tous ses excès, ne respecte pas ces valeurs de base.
L’exemple de l’interdiction de ce type de chasse dans le canton de Genève en Suisse depuis 1974, confirmée en 2009, démontre que la gestion cynégétique du gibier n’est pas nécessaire. La chasse peut se limiter à l’élimination de certains animaux selon un plan de tir établi scientifiquement lorsqu’il y a des surpopulations locales dues au fait de l’absence de grands prédateurs naturels (dont le retour est du reste favorisé, exemple du lynx).
La révision, en 2011, de la loi sur la chasse au Grand-duché du Luxembourg s’inscrit dans cette évolution favorisant les équilibres naturels. Quant au tir non sélectif, comme à la chasse en battue (3), il est interdit par la loi sur le bien-être animal.
En conclusion, il est évident que la chasse, lorsqu’elle est conduite dans l’unique but de réaliser de gros tableaux de chasse, sans lien avec la capacité productive naturelle du milieu, dans un environnement fragmenté et dégradé, ne favorise aucunement la biodiversité, que du contraire ! En réalité, par ses excès et ses dérives, sa violence, elle banalise et simplifie la nature et tue son potentiel de développement, sa biodiversité. La chasse façonne la nature à son seul profit et elle la rend artificielle, elle qui n’a nul besoin du chasseur de loisir et encore moins de son fusil.
(1) Parlement wallon. Session 2003-2004. 16 décembre 2003. « Proposition de résolution déposée en conclusion du débat relatif à la problématique de la chasse ». M. A. Pieters, Mme N. Docq, M. P. Boucher et Mme A.-M. Corbisier-Hagon. 629 (2003-2004) – N° 1.
(2) Loi publiée au Monteur belge du 03 décembre 1986.
(3) Chasse à tir pratiquée par plusieurs chasseurs, en même temps. Ils sont postés en attendant que le gibier passe. Celui-ci est en fuite, effrayé par des hommes et des chiens faisant le plus de bruit possible.