La volonté de la Ligue Royale Belge de Protection des Oiseaux est de faire modifier la loi sur la chasse en Wallonie afin de l’inscrire dans une perspective durable qui tiendrait mieux compte de la perte de biodiversité globale et de l’équilibre des milieux naturels, plutôt que favoriser le gibier artificiel et l’ampleur du tableau de chasse. Cette révision en profondeur reconnaîtrait également, comme le Code du bien-être animal pour les animaux qui sont sous le contrôle de l’homme,  la souffrance, physique et psychique, de l’animal-gibier en favorisant les modes de chasse les plus sélectifs et efficaces afin de limiter la maltraitance inutile subie par les animaux sauvages.

« Le lobby de la chasse est très puissant en Wallonie et il influence largement, en sa faveur, la réglementation et la législation. La loi sur la chasse est trop peu contraignante et n’est même pas toujours appliquée. Le Département Nature et Forêts (DNF) de la Région wallonne manque de personnel pour exercer sa mission de contrôle et des procès-verbaux sont classés sans suite. Depuis 30 ans, c’est le statu quo politique en la matière. Les ministres en charge sont proches du monde de la chasse, voire chasseurs eux-mêmes. Le seul qui ait pris des mesures pour inverser la tendance (Carlo Di Antonio) a vu ses efforts annulés par son successeur ! La chasse est devenue un business et son lobby veut garder le monopole sur la gestion cynégétique ». Toutes ces constatations sont énoncées dans un article que consacre la revue Imagine (n°122, juillet-août 2017) au déséquilibre entre la forêt et la grande faune.

La soi-disant régulation de la nature par les chasseurs

Réguler en matière de chasse devrait signifier qu’une quantité connue de gibier, au départ, est maintenue à l’arrivée. Or, personne, même pas les chasseurs, n’est capable de connaître précisément la quantité et la qualité des animaux chassables sur un territoire. Au mieux, il est possible de fixer un indice de population ; mais sans pouvoir assurer, faute de contrôle, qu’il sera respecté par les chasseurs de loisir. Au contraire même, puisque ceux-ci favorisent une gestion augmentant artificiellement les populations de gibier, que ce soit en plaine et dans les milieux humides (lâchage de faisans, perdrix, colverts) ou en forêt (nourrissage continu des sangliers et indirectement des cervidés). Même des espèces rares ou peu présentes (Sarcelle d’hiver) ou en voie de disparition (Perdrix grise) ou en déclin (Bécasse des Bois) sont chassées. En outre, ces pratiques détruisent les écosystèmes.

La surdensité néfaste de la grande faune

La forêt wallonne souffre d’une surdensité de grand gibier. Celle-ci, déjà favorisée par des hivers moins rigoureux est liée, principalement, à la pratique inutile de nourrissages artificiels, auxquels s’ajoute une gestion cynégétique qui organise un déséquilibre des sexes (plus de femelles) pour produire du gibier au-delà des capacités naturelles. Il en résulte un grand déséquilibre forêt/gibier en défaveur de la biodiversité. Ce grand écart est flagrant dans certains grands territoires de chasse qui représentent près de 20 % de la surface de la forêt wallonne. C’est à partir de ces « points noirs » (voir à ce sujet « La forêt wallonne, une chasse gardée. Le poids du lobby de la chasse ». Lionel Delvaux, 2015) qu’un gibier pléthorique déborde pour coloniser les milieux voisins agricoles. Lorsque, au printemps, la densité de gibier dépasse les 50 sangliers/1.000 ha elle classe, selon les normes de la chasse en France, la Région wallonne en « point noir » généralisé !

Cette surdensité d’animaux met en danger la biodiversité locale mais aussi, par les dégâts occasionnés aux arbres et à la végétation, le bon état sanitaire et même la certification des forêts labellisées PEFC. Selon de nombreuses études scientifiques, la surdensité de sangliers est à l’origine de la propagation rapide de la peste porcine qui sévit actuellement dans le sud de la Wallonie.

La petite faune des plaines et des milieux humides en voie de disparition

Quant au petit gibier des plaines il est en manque d’habitats, et les espèces indigènes sont menacées, voire en voie de disparition. Les introductions de gibier d’élevage pour le tir nuisent aux populations locales, ainsi qu’à la faune et la flore en général (voir par exemple : Faune sauvage. N°274. Décembre 2006). Seules, des mesures agro-environnementales importantes et un moratoire sur la chasse des espèces en danger permettront un repeuplement durable et de qualité bien adapté aux biotopes locaux.

La chasse de loisir et d’affaires

La chasse de loisir est celle qui, par ses excès, ses artifices, ses dérives et l’attitude dominatrice de ses représentants par rapport aux autres usagers de la nature, s’est rendue insupportable aux yeux de la majorité des citoyens. Elle n’est pourtant pratiquée que par 0,2 % (1 chasseur sur 452 habitants) de la population belge selon la revue « Chasse et Nature » (2012). Ce % n’est guère plus élevé pour la seule Région wallonne où les chasseurs (18.000 permis de chasse délivrés) sont également très largement minoritaires.

Ces chasseurs, qui sont bien moins nombreux que les membres et sympathisants des associations de protection de la nature, disposent d’un lobby dominant exercé par des gens très influents auprès de quelques décideurs politiques. Ils parviennent aussi à s’assurer une présence régulière dans le cabinet ministériel en charge des affaires relatives à la nature et à la chasse.

Le gibier est un bien commun inestimable en grand danger d’appauvrissement. Il est, néanmoins, littéralement offert aux chasseurs par le permis de chasse à un prix dérisoire, inférieur aux produits de la vente des animaux morts.

Les décisions politiques sont très fortement influencées par les arguments du lobby de la chasse. Ceux-ci se révèlent fallacieux lorsqu’ils sont examinés, non pas comme un chasseur qui défend son loisir et son plaisir de chasser toujours plus, mais en fonction du bien commun : c.-à-d. d’un point de vue écologique, en faveur de l’équilibre des milieux naturels, ou d’un point de vue social, en faveur de l’accès à la forêt, et d’un point de vue moral, si l’on prend en compte la souffrance animale. La poursuite de la chasse de deux espèces menacées : la Perdrix grise, sans obligation de gestion des habitats à l’aide de mesures agro-environnementales de long terme, et la Sarcelle d’hiver en sont des exemples, ainsi que le refus actuel du gouvernement wallon d’interdire tout nourrissage du sanglier malgré la crise de la peste porcine africaine.

Le chasseur « en conserve », celui qui accepte de tirer sur des animaux d’élevage, dans un territoire, clôturé si possible, pratique dans les faits une activité d’élevage à but récréatif. Son objectif final est d’obtenir de « beaux » tableaux de chasse, à la hauteur du prix payé pour pratiquer ces chasses « business ».

Les chasseurs de loisir prétendent être le gestionnaire de la nature. Mais les discussions avec le lobby de la chasse seraient bien clarifiées s’il reconnaissait la réalité, évidente : la chasse d’agrément, par ses dérives, banalise et modifie le monde naturel. Elle n’est en aucune manière une activité de gestion écologique globale et durable des milieux et de sa faune. D’ailleurs, face à la disparition et à la raréfaction des milieux naturels et du vivant sauvage, la raison d’être de la plus importante fédération de chasseurs de Wallonie (le RSHCB, 12.000 membres) est « la promotion de la chasse et la défense des chasseurs » et non pas la protection et la défense de la nature et de la biodiversité.

Même à l’échelon local, le pouvoir d’influence du lobby de la chasse est considérable. Il aide à forcer des décisions politiques, par exemple pour privatiser des chemins publics, pour placer des panneaux qui donnent au promeneur l’idée que ces chemins sont privés et interdits d’accès, pour placer des barrières à l’entrée de ces chemins pour faire croire à un accès interdit. Lorsqu’ils sont rappelés à l’ordre, les chasseurs sont autorisés à ne pas enlever ces barrières, mais seulement les cadenas ….

Le poids économique de la chasse : qu’en est-il réellement ?

La chasse de loisir ne génère aucune « externalité » positive particulière, que du contraire. Son bilan économique complet, qui tiendrait aussi compte de sa dette cachée envers les écosystèmes et la biodiversité, est négatif. En effet, la prise en compte des dégâts collatéraux de la chasse de loisir, comme les impacts négatifs sur le tourisme, la production sylvicole et agricole (quelle ineptie écologique par exemple de persécuter les prédateurs), les milieux naturels … doivent être pris en compte pour une analyse économique globale du secteur. De plus, le secteur économique lié strictement à la chasse est marginal et sans doute pour partie non fiscalisé.

Des sommes importantes sont à économiser en évitant l’élevage et les introductions à l’emporte-pièce de gibier de tir, comme les faisans et perdrix dans les plaines, les Canards colverts sur les étangs, ou en s’abstenant de nourrir les sangliers qui sont alors privés de leur caractère sauvage. Les amateurs de chasse de kermesse iront bien se divertir ailleurs en cas d’interdiction de ces pratiques ahurissantes.

Notons qu’il serait intéressant de comparer les filières économiques de la « chasse », d’une part, et des activités « nature », d’autre part. Les dépenses des promeneurs, des randonneurs, des naturalistes et des photographes nature, etc. sont en plein développement et ne peuvent être négligées (frais de séjour, de guidance et en matériel spécialisé, comme les vêtements et les chaussures adaptés, les jumelles, les guides, etc.).

La souffrance animale infligée pour le plaisir

Un animal chassé n’est pas un objet inerte mais un être vivant, l’aboutissement d’une longue chaîne évolutive. Il a une valeur intrinsèque. Le nouveau Code wallon du bien-être animal, voté le 3 octobre 2018 au Parlement de Wallonie, reconnaît d’ailleurs que l’animal est un être sensible. En son article 1er, il reconnait que l’animal possède des besoins qui lui sont spécifiques selon sa nature, suivant en cela le progrès des connaissances scientifiques. Pourtant ce code ne s’applique, concrètement, qu’aux animaux qui sont sous la dépendance de l’homme et non à la faune. Il suit en cela une logique purement politique et juridique. Or, la chasse fait souffrir les animaux sauvages, dont en majorité du « gibier » provenant d’élevages. Il n’est pas crédible de prétendre le contraire en affirmant que l’animal tiré n’a pas le temps de souffrir, et que la recherche d’animaux blessés, afin de les achever, permet d’éviter leur souffrance. Le code stipule cependant, dans l’article 56 §1er : « Un animal ne peut être mis à mort que par une personne ayant les connaissances et les capacités requises, et suivant la méthode la plus sélective, la plus rapide et la moins douloureuse pour l’animal ». Ces dispositions devraient s’appliquer au tir de chasse en excluant les formes de chasse non sélectives et non efficaces (tir à l’arc, chasse à la battue à cor et à cri, piégeage, etc.).

Comme l’écrivait feu Albert Demaret, ancien Président de la société ornithologique AVES, « Le respect de la vie s’ajoute désormais aux principes de la protection de l’environnement et de la conservation des ressources naturelles ».

Quelle évolution souhaitée de la chasse ?

Les animaux sauvages doivent être considérés comme un bien commun à protéger, comme res communis et non pas res nullius.

La chasse ne peut faire souffrir les animaux « inutilement », par des tirs peu efficaces ou le piégeage.

La liste des espèces de la faune sauvage chassables (le gibier) doit être actualisée et revue à la baisse.

Les prédateurs naturels doivent être respectés et non pourchassés, tirés et piégés.

Les tirs doivent être sélectifs et respecter l’équilibre démographique des populations.

Le nourrissage, dans le but d’obtenir plus d’animaux à tirer, doit être strictement interdit. La chasse du gros gibier doit être sélective et accompagnée de plans de tirs (cervidés) ou de quotas de tir (sangliers) validés scientifiquement sous la responsabilité du DNF. Lorsque ces plans ou quotas ne sont pas atteints le DNF doit intervenir ou faire intervenir des chasseurs agréés.

Les lâchers de gibier d’élevage doivent être interdits car ils ne servent qu’à la chasse de loisir et non au repeuplement ou au renforcement des populations. Aussi parce qu’ils favorisent la dissémination de maladies, de virus et de bactéries. Trop peu d’études scientifiques sont menées pour suivre les effectifs des populations de gibier et servir de cadre aux plans ou aux quotas de tir. Pour ce faire, le petit gibier d’élevage doit être bagué pour pouvoir le distinguer de la faune naturelle. Mieux, tout lâcher de gibier d’élevage doit être interdit. Très rares sont les territoires de chasse qui accompagnent leur pratique par une gestion agro-environnementale continue qui bénéficie aussi à d’autres espèces que le gibier. Les quelques territoires de chasse qui procèdent ainsi doivent être encouragés. Au lieu d’introduire des animaux d’élevage pour le tir, un arrêt de la chasse doit être imposé tant que les populations n’ont pas été restaurées par des mesures agro-environnementales appropriées, qui doivent être amplifiées. Des abris, des zones refuges pour la faune et la flore sauvage, des haies, des reliefs, etc. doivent être aménagés prioritairement. Et s’il faut repeupler, il est impératif de le faire avec des individus bagués issus de territoires proches, non domestiqués.

Vu la raréfaction des zones propices aux haltes migratoires et d’hivernage, tant en Europe qu’en Afrique, la chasse des oiseaux migrateurs (en ce compris la Bécasse des Bois) doit être complètement interdite, partout, d’autant plus lorsque les espèces concernées sont protégées ailleurs ou sont reprises sur la liste des animaux en déclin ou menacés de disparition. Il n’existe du reste aucun argument, sinon le seul plaisir des chasseurs, justifiant le tir des oiseaux, quels qu’ils soient.

La chasse de loisir est nuisible pour l’ensemble de la nature et cause des dégâts à l’agriculture, à la sylviculture et aux milieux naturels. Sa véritable importance économique est exagérée. Ses nuisances ne sont pas prises en compte, malgré les discours politiques en faveur de la sauvegarde et de la restauration durable de la biodiversité pour les générations futures. La gestion de la chasse par les autorités, au travers de la législation et de l’Administration, doit tenir compte aussi de l’avis des scientifiques et des naturalistes. Elle doit être coordonnée et contrôlée par le Département Nature et Forêts de la Région wallonne, avec des moyens adéquats (personnel, matériel) et conformes aux engagements politiques de la Région wallonne en faveur de la durabilité de l’ensemble du patrimoine naturel wallon.

L’autorité publique, pour répondre à ses propres engagements et à la sensibilité des citoyens, plutôt qu’à celle des chasseurs non représentatifs de ceux-ci, a l’obligation morale d’équilibrer les formes d’usages de la nature entre les multiples acteurs de la ruralité, en tenant compte de l’importance relative de chacun. Elle doit veiller à l’équilibre durable de la biodiversité et répondre aux attentes de la société civile en matière de sécurité, de loisirs paisibles et d’éthique environnementale.

Une révision de la loi sur la chasse s’impose

La chasse de loisir heurte l’éthique de l’humain face à l’animal qu’elle fait souffrir. Elle détruit, par ses pratiques, la biodiversité et les milieux naturels. Elle devrait, dès lors, se remettre en question et accepter une révision de la loi sur la chasse en faveur d’une chasse de qualité (chasse de type « cueillette ») plutôt que celle visant à la quantité (logique d’actionnariat des chasses) et au plaisir mondain.

La nature est un patrimoine commun. La loi sur la chasse devrait s’inscrire dans une vision globale de la conservation de la nature et de la biodiversité. Elle devrait aussi être compatible avec les attentes des autres usagers de la nature, comme les sylviculteurs et les agriculteurs, les randonneurs, les naturalistes, les sportifs, les touristes, etc.

Une révision profonde de la loi sur la chasse est absolument nécessaire. Conçue à une époque où les chasseurs prélevaient le gibier, sans risques majeurs de détruire les équilibres naturels, la loi doit être adaptée à la situation actuelle, celle qui est caractérisée par le déséquilibre des biotopes où la faune est soit en voie de disparition (petite faune), soit voit ses effectifs artificiellement dopés (grande faune)

Il existe de nombreuses pistes proposant une révision de la loi sur la chasse. Entre autres, « La chasse en Wallonie : une nécessaire évolution » (Etopia, octobre 2011) ; ou encore « Proposition de résolution déposée en conclusion du débat relatif à la problématique de la chasse » (Parlement wallon, session 2003-2004) et les propositions, en 2010, de la Fédération Inter-Environnement Wallonie dans son « Plaidoyer pour une révision de la Loi sur la chasse ». Un exemple concret d’une chasse à licence, éthique, existe déjà en Wallonie, dans la commune de Bütchenbach (et en partie dans la forêt d’Anlier) : elle favorise les chasseurs locaux, les quotas de tir des grands gibiers y sont fixés par le DNF, le tir se fait à partir de miradors, une battue silencieuse est organisée en fin de saison si ces quotas ne sont pas atteints et … la chasse est interdite le samedi après-midi et le dimanche toute la journée. Quant au gibier, il reste la propriété de la commune qui peut le vendre à son profit.

A l’étranger, des exemples probants existent aussi, comme au grand-duché de Luxembourg depuis 2011 ou, en Suisse, dans le canton de Genève, où la chasse de loisir est interdite depuis 1974.

Une révision de la loi devrait tenir compte du fait que tous les animaux remplissent une fonction utile dans les écosystèmes et qu’aucun animal n’est nuisible à l’autre. Elle devrait servir l’intérêt global de la faune sauvage et des milieux naturels, et non pas celui des chasses d’affaires qui favorisent un gibier artificialisé, fragilisé et dénaturé afin d’amplifier les tableaux de chasse. Elle devrait être guidée et encadrée par un réel suivi scientifique, indépendant et continu, des populations animales. Elle devrait veiller à l’application de l’interdiction de toute souffrance « inutile » faite aux animaux sauvages. Elle devrait prendre en compte les valeurs éthiques de la société civile : ne pas tolérer la maltraitance animale, veiller à faire respecter une véritable éthique de la chasse, interdire les piégeages et la chasse le dimanche pour permettre l’accès aux milieux naturels à tous, etc.

Notons finalement que l’argumentation développée ci-dessus contre la chasse de loisir et ses excès est proche de celle de l’Association pour une « Chasse Ecologiquement Responsable » (ANCER), en France, qui condamne notamment le nourrissage et l’introduction d’animaux dans la nature par la chasse de loisir : elle considère que ces pratiques sont « le cancer » de la chasse ! 

Le texte Ci-dessus présente les conclusions d’une série d’articles de la revue « L’Homme et l’Oiseau » de la LRBPO consacrées à la chasse « business ». Le texte intégral est disponible ici

Documents à télécharger : Communiqué de presseSynthèse des résultats, présentation des résultats du sondage, sondage complet, les dérives de la chasse en Wallonie.