Le moineau est probablement l’oiseau le plus familier et le plus facilement reconnaissable pour le commun des mortels. Ne fût-ce que par son gazouillement familier à nos oreilles. Mais la plupart des gens ne savent pas qu’il existe deux espèces de moineaux vivant dans notre pays, toutes deux fréquentant de près l’être humain : le Moineau domestique et le Moineau friquet.

Leurs populations ne se portent pas bien …Vraiment pas bien !

La plupart d’entre nous se rappellent très bien les Moineaux domestiques frondeurs parcourant inlassablement le sol et les tables des terrasses ensoleillées à la recherche de quelques restes de nourriture. Ils ne semblaient absolument pas effrayés par la présence des flâneurs profitant des rayons du soleil et d’une boisson fraîche. Le Moineau domestique (Passer domesticus) n’a rien d’un oiseau inesthétique et présente bien d’autres attraits que le brun et le gris qu’on lui attribue trop rapidement. Observé à la lumière du soleil, il présente une belle palette de teintes variées et chaudes. Le mâle porte une tête grise et un col noir, mais également des joues et une gorge blanches. La femelle arbore une robe beige avec une bande sourcilière particulièrement claire.

En ce qui concerne le Moineau friquet (Passer montanus), il n’y a pas de dimorphisme sexuel, mâle et femelle étant identiques. Il est plus svelte, nettement moins bruyant et beaucoup plus discret que le Moineau domestique. Une tête brun chocolat, des joues blanches garnies d’une petite tache noire et une bande blanche sur la nuque, autant de signes distinctifs qui identifient assurément le Moineau friquet. Les Friquets ne se rencontrent que fort rarement en milieu urbain. Ils sont plus attirés par les zones agraires où se mêlent habitations isolées et cultures, leur préférence allant sans conteste aux saules têtards et aux arbres fruitiers. Son nom anglais de ‘Tree Sparrow’ (moineau des arbres) est d’ailleurs évocateur.

Comment vivent nos moineaux ?

Les moineaux et plus particulièrement les Moineaux domestiques ne se sentent à l’aise qu’en présence de congénères dans les environs. Cela implique naturellement une certaine concurrence. Afin de trouver une partenaire, le mâle doit occuper un site de nidification potentiel possédant un nid totalement achevé ou, au pire, en construction. Les mâles possédant une grande tâche noire à la gorge bénéficient d’un avantage sur ceux ne possédant qu’une tâche modeste. A l’origine, le Moineau domestique nichait en colonies dans les arbres, mais il s’est progressivement adapté et est devenu un hôte des habitations humaines, avec une préférence marquée pour les sous-toitures. Son ingéniosité ne connaît pas de limite.

Moineau domestique
Moineau domestique femelle.

Le Moineau friquet est, quant à lui, un pur cavernicole et niche de préférence avec d’autres congénères avoisinants. Les mâles gazouillent assez fortement entre février et mai. Les célibataires tentent de focaliser l’attention d’une femelle sur le site de nidification sélectionné, alors que les mâles accouplés précisent par leurs chants l’endroit qu’ils habitent. Les moineaux sont réputés comme étant de grands dormeurs. Mais une fois qu’ils sont réveillés particulièrement en mars et en avril, les gazouillements sont incessants et il est aisé de dénombrer les individus qui fréquentent les environs. Le résultat de tout ce remue-ménage est une couvée d’environ quatre (Moineau domestique) ou cinq (Moineau friquet) œufs. Mâles et femelles des deux espèces s’unissent pour la vie. Seule la femelle du Moineau domestique couve les œufs. Par contre, les deux sexes se partagent ce travail chez le Moineau friquet, si ce n’est les nuits durant lesquelles seule la femelle tient les œufs au chaud. Environ 88% des œufs des Moineaux domestiques et 93% des œufs des Friquets arrivent à éclosion. Commence alors pour tous les parents moineaux une période longue et pénible. Ils doivent se mettre à la recherche principalement d’insectes pour nourrir leurs rejetons, ce qui n’est pas une tâche aisée pour les moineaux. En dehors de la période de nidification, les deux espèces ne sont pas insectivores, mais granivores. Des recherches effectuées à Hambourg en avril 1997 démontrèrent que pas un seul jeune des premières nidifications ne prit son envol, et ce par manque d’insectes, ceux-ci étant d’une importance vitale pour la croissance des jeunes oisillons. Une fois que les premiers juvéniles ont quitté le nid (environ 45% pour le Moineau domestique et 57% pour le Friquet), la femelle commence assidûment une seconde couvaison, tandis que le mâle assume ses responsabilités paternelles en s’occupant de l’apprentissage des aînés. Après environ dix à quatorze jours, les jeunes moineaux deviennent indépendants et ne reviennent plus au nid. Ils se regroupent avec des jeunes provenant d’autres nichées et partent à la recherche de sites de nourrissage favorables. Leur nourriture se constitue maintenant principalement de graines et de semences de graminées. Les jeunes Friquets peuvent également être attirés par des arbres fruitiers, des jardins potagers et certaines cours intérieures de fermes. Les jeunes moineaux des villes ne quittent pas le milieu urbain, où le manque de graines et de semences est pallié par une quantité innombrable de pain et d’autres restes de table.

A la fin de l’été, les jeunes citadins sont rejoints par les adultes des deux espèces qui ont terminé leur nidification. On se doit d’être bien conscient que tous les jeunes moineaux, aussi bien domestiques que friquets, traversent à ce moment la période la plus périlleuse de leur existence. En effet, après deux mois, seule la moitié des oiseaux ayant réussi leur envol sont encore en vie.

De septembre à la mi-novembre, tous les Moineaux domestiques reviennent vers les sites de nidification afin de reprendre possession d’un nid. Les places libres sont rapidement occupées par les jeunes Moineaux domestiques. Les jeunes Moineaux domestiques et friquets qui n’ont pas réussi à se loger avant l’hiver tenteront leur chance ailleurs. Pour cela, ils ne se déplacent que rarement de plus cinq kilomètres. Environ 25% des Friquets, surtout des individus juvéniles, ne restent pas chez nous et migrent vers le sud-ouest, dès l’automne, pour hiverner en France, en Espagne ou au Portugal. En dehors de la saison de reproduction, les deux espèces forment des “communautés” afin de trouver leur nourriture. Ils opèrent le plus souvent depuis un environnement protégé, comme une haie, quelques buissons épais ou une végétation murale (comme du lierre), cherchant leur nourriture principalement au sol.

Sites attirants pour les moineaux

Dans l’introduction de cet article, j’ai déjà signalé que les Moineaux friquets sont principalement attirés par les milieux agraires. Cela ne signifie aucunement qu’il ne fréquente pas le voisinage des nombreuses maisons installées à la campagne. Le Friquet est cavernicole. Il peut choisir un nichoir en bois ou en terre cuite. Il n’est donc pas inutile de multiplier le nombre de nichoirs dans un jardin afin de donner une chance aussi bien aux mésanges qu’aux Friquets. Ils nichent également souvent dans des anfractuosités présentes dans des arbres ou dans des bâtiments.

En ce qui concerne ces derniers, ils sont pour le moins exigeants, leur préférence allant à des monuments historiques ! Ils sont également plus restrictifs au niveau environnemental, nécessitant plus de verdure que le Moineau domestique. L’idéal pour le Friquet se matérialise en un paysage composé de diverses structures, dont des haies, des saules têtards, des taillis, des vergers, etc.

Par contre, les Moineaux domestiques sont commensaux des hommes. Cela n’implique pas qu’ils soient présents partout où l’homme s’établit. En milieu urbain, il nichera principalement en sous-toitures, dans des bâtiments abandonnés, des niches murales, des lierres… Il fréquente également tout ce qu’il y a de ‘vert’ dans les environs : buissons, pelouses, arbres isolés, etc. Dans les banlieues, des colonies entières de moineaux gazouillant sont observées dans certains jardins alors que pas la moindre présence n’est repérée dans d’autres. Et si on compare ces jardins, il apparaît clairement que les “jardins aux moineaux” sont toujours garnis d’arbustes à feuilles persistantes (Rhododendron, Cotoneaster, Genévrier, Troène, etc.) dans lesquels les passereaux gazouillent presque tout au long de l’année.

Les haies composées notamment de tels arbustes offrent une protection bienvenue pour les moineaux. Si les arbustes indigènes à feuilles caduques sont fréquentés durant l’été en tant que sites de nidification, ils sont délaissés en hiver, les passereaux préférant le couvert des arbustes restant feuillus. Il ne doit pas nécessairement s’agir d’une haie, un buisson touffu peut aussi bien héberger une colonie de moineaux pour autant que les environs soient attrayants. Le jardin doit donc faire montre d’une certaine diversité. Une haie surplombant une pelouse nette comme un tapis de billard n’attirera guère le moineau ! Une petite parcelle sauvage offre assurément un certain nombre de semences dans le courant de l’été. Les accotements des routes et chemins jouent ici aussi un rôle important. Les moineaux restent souvent aux alentours directs d’une source de nourriture. Un poulailler en est un bel exemple : les passereaux peuvent être assurés de l’approvisionnement journalier en graines. Les tables de nourrissage attirent également les moineaux en hiver. Ce n’est que récemment que l’on peut les observer accrochés à des boules de graisse ou autre nourriture suspendue.

Un bon conseil : placez une table de nourrissage prêt de votre habitation pour les mésanges et le Rouge gorge et une seconde plus éloignée de vous et plus près du site de protection des Moineaux domestiques et friquets.

De nombreux toits de nouvelles habitations sont inaccessibles pour les moineaux. Mais il y a moyen d’y remédier et d’aider les petits passereaux. On peut par exemple remplacer une tuile normale par une autre spécialement conçue pour pouvoir héberger une nichée de moineaux. Les moineaux sont des oiseaux très agréables. En appliquant quelques mesures simples, chacun peut leur apporter une aide appréciable et participer à leur protection. Mais cela ne suffira pas !

Moineau friquet
Moineau friquet

Un aperçu de la situation

Dans l’ «Atlas des Oiseaux nicheurs de Belgique» (1988), dont les données proviennent des années 1973-1977, la population totale de Moineaux domestiques dans notre pays est estimée à quelque 715.000 couples nicheurs. Mais on peut supposer que, vu l’importance de leur densité dans les villes, le nombre réel est plus élevé.

C’est principalement la situation du Moineau domestique qui inquiète les chercheurs. L’homme de la rue est également de plus en plus persuadé que les gazouillis de leurs ‘piafs’ se font de plus en plus discrets. L’association Moineau domestique/Homme trouve son origine dans la ‘Demi-lune fertile’, un territoire qui s’étendait d’Israël jusqu’au Golfe Persique et où, il y a dix mille ans, les hommes passèrent d’un statut de chasseurs-cueilleurs à un statut d’agriculteurs établis. La même transition se déroula également dans la ‘Vallée de la rivière jaune’, en Chine, on l’on a retrouvé des traces d’une relation communautaire identique (Moineau friquet/Homme).

Les hommes cultivaient alors principalement du chiendent (blé sauvage) et de l’orge sauvage, les ancêtres de nos céréales actuelles. Les graines de ces plantes formaient vraisemblablement une source de nourriture pour les moineaux qui vivaient dans les environs. Les greniers à grains leur offraient, tout au long de l’année, une source de nourriture et un site de nidification. Au fur et à mesure que l’homme s’établit en tant qu’agriculteur, le moineau se développa en tant qu’oiseau sédentaire et commensal de l’homme. Et dès que l’homme bâtit des villes, le moineau l’y accompagna et ses gazouillements devinrent les chants d’oiseaux les plus communs dans nos cités.

Une enquête dans les jardins de Kensington, à Londres, montra que la population locale de Moineaux domestiques, entre 1925 et 1948, chuta de deux tiers. Ce recul fut sans doute une conséquence de l’apparition de l’automobile et de la disparition progressive des chevaux et des attelages dans les rues londoniennes. Les Moineaux domestiques perdirent dès lors une source importante de nourriture : d’une part, les restes de graines dans les crottins de cheval et, d’autre part, les nombreuses céréales que les chevaux laissaient échapper de leurs musettes. En même temps, la rue devint un milieu dangereux, surtout pour les jeunes moineaux qui durent apprendre à connaître tous les dangers de l’automobile.

Après 1948, la situation du Moineau domestique s’est progressivement rétablie jusqu’au milieu des années 70. On estime alors que la population du Moineau domestique belge diminua de moitié entre 1975 et 1985. Et cette chute continue encore aujourd’hui. Le spécialiste mondial des moineaux, Dennis Summers-Smith, a analysé depuis 1960 les données concernant le Moineau domestique en provenance de certaines villes européennes (Londres, Glasgow, Edimbourg, Dublin et Hambourg). D’après ces données, il semble qu’une période relativement stable jusqu’en 1980 ait été suivie d’une chute vertigineuse jusqu’à plus de 98% en 2000-2001. D’autre part, l’analyse des données relatives aux moineaux et provenant de villes et de communes plus continentales ne fait apparaître aucune diminution remarquable.

Suivant Summers-Smith, nous sommes confrontés à trois situations distinctes :

  • une chute des populations de 70% dans les milieux agraires depuis 1980 ;
  • une chute de 95% dans les centres-villes depuis 1985 ;
  • peu ou pas de changement dans les petites villes et les milieux suburbains.

Il est clair que la diminution des populations dans les campagnes est principalement due à l’évolution des techniques agricoles et à la disparition des grands stocks de graines entassés dans les granges. Mais que s’est-il bien passé dans les centres-villes ?

Le Moineau friquet peine également. Dans les années septante, cette espèce nichait encore assez couramment et n’hésitait pas à squatter le nichoir destiné à la Mésange charbonnière. Actuellement, on est tout content si l’on a la chance d’observer un Friquet occupant un nichoir. Doit-on s’en inquiéter ? Oui, bien sûr !

Si un oiseau aussi habitué à l’homme disparaît, cela représente un signe clair que l’on ne peut ignorer. Notre environnement change et cela peut également avoir de graves conséquences, à terme, pour l’être humain. Dennis Summers-Smith se demande si le Moineau domestique ne joue pas le même rôle que le canari utilisé jadis dans les mines. Si le passereau disparaît de nos villes, c’est que celles-ci présentent des dysfonctionnements fondamentaux et qu’elles risquent de devenir, à terme, fort nocives pour l’homme.

Quelque chose doit être fait rapidement !

Je pense que nous disposons dans notre pays de sites riches et de sites pauvres pour les moineaux. La question est de savoir ce qui est typique aux deux territoires. Les sites actuellement défavorables pour les moineaux ont-ils jamais été favorables ? Comment cela se passe-t-il dans les centres-villes belges.

En premier lieu, nous devons savoir dans le détail où se trouvent les sites favorables et défavorables pour les moineaux. Avec cette information, nous pouvons nous orienter vers diverses causes. Il existe déjà certaines suppositions :

• les ennemis : les chats domestiques et les Eperviers. Les chats principalement représentent une menace importante. Un chercheur britannique établit que les chats domestiques étaient responsables de 30% du taux de mortalité des Moineaux domestique après avoir effectué une enquête dans un village du Bedfordshire. Un autre chercheur a évalué à neuf millions le nombre de moineaux tués annuellement par des chats en Angleterre durant la période de nidification (de avril à août). Bien que l’Epervier soit devenu, après la période ‘pesticides’ des années ’60, un visiteur régulier dans nos centres-villes, son influence en tant que prédateur de moineaux est insignifiante ;

• le manque de possibilités de nidification : l’architecture actuelle est fort peu accueillante pour les moineaux. Mais il est cependant fort peu probable que la baisse des populations de moineaux soit uniquement influencée par le manque de sites de nidification ;

• la densité du trafic routier : elle représente une différence importante entre les noyaux urbains et les villes plus campagnardes. La présence de nombreux feux de signalisation, devant lesquels les véhicules patientent le moteur tournant, peut également être influençable.

Summer-Smith fait une corrélation entre le recul des effectifs de moineaux dans les villes et l’apparition de l’essence sans plomb, en 1989. Afin de maintenir l’indice d’octane dans l’essence sans plomb, on y a ajouté jusqu’à 10% d’alcool et d’éther (methy tri-butyl ether – MTBE), mais également du benzène (jusqu’à 5%). Aussi bien l’éther que le benzène peuvent se retrouver dans l’environnement. L’Union Européenne a récemment imposé une baisse de 1% du benzène rajouté à l’essence. Ces composants peuvent influencer directement ou indirectement les moineaux, notamment via les insectes indispensables à l’élevage des jeunes. Ainsi, l’empoisonnement dû à l’éther fut la principale cause de mortalité du moineau à New York en 1999. Aux Etats-Unis, le MTBE est présent dans l’essence dans de plus grandes proportions (de 11 à 15 %) qu’en Europe (5%). Il est donc bien possible que l’on découvre pas de cadavres de moineaux ou d’autres oiseaux dans nos villes mais que la population de Moineaux domestiques soit indirectement influencée par une offre dégressive d’invertébrés.

Jenny De Laet – Écologue du comportement