La migration des oiseaux est l’un des phénomènes les plus fascinants de la nature. Imperceptible si l’on n’y prête pas attention, elle peut pourtant constituer un véritable spectacle. L’observation et l’écoute des oiseaux en vol migratoire peut sembler une discipline difficile. Pourtant, s’exercer à identifier les oiseaux qui défilent dans le ciel peut très vite devenir ludique, voire passionnant. Nous sommes actuellement en pleine période de migration, le moment est donc propice pour s’initier à l’observation de cet incroyable phénomène naturel.
La migration active
Les oiseaux utilisent de multiples stratégies pour se déplacer de leurs sites de nidification à leurs zones d’hivernage. Tandis que de très nombreuses espèces d’oiseaux migrent de nuit, certaines autres effectuent leurs déplacements migratoires de jour. Il est alors possible de les observer et de les écouter. Le suivi de la migration active consiste à observer, écouter, et souvent compter les oiseaux en train d’effectuer leur vol migratoire.
Identifier si possible, admirer avant tout
Même après plusieurs années de pratique de l’ornithologie, l’identification des oiseaux en vol est un exercice qui rebute de nombreuses personnes de par son apparente difficulté. Cependant, sans pour autant vouloir identifier tous les oiseaux en vol, il n’est pas forcément nécessaire d’être spécialiste pour être capable d’en reconnaître quelques-uns.
Les ailes du Grand Cormoran sont placées au milieu du corps, ce qui lui confère une forme de croix symétrique. Cette silhouette caractéristique est visible même à très longue distance.
Certains oiseaux passent relativement proche des observateurs et observatrices, d’autres sont aisément identifiables grâce à leur taille importante, d’autres encore sont reconnaissables en vol car ils appartiennent à des espèces très communes. On peut notamment penser au Héron cendré (grande taille, tons gris, cou plié), au Grand Cormoran (noir, forme de croix), au Geai des Chênes (vol papillonnant, croupion blanc), à la Pie bavarde (longue queue, vol stable, noir et blanc), au Pigeon ramier (colombidé de grande taille, large barre alaire blanche et tache blanche au cou), à la Mouette rieuse (laridé de petite taille, bord d’attaque de l’aile blanc), au Vanneau huppé (ailes longues et très larges jusqu’à leur extrémité)… Quand on y réfléchit, la liste des oiseaux “faciles” à identifier en vol est déjà bien plus longue qu’on ne le pense a priori !
Le triangle blanc sur le bord d’attaque à l’extrémité de l’aile est très visible chez la Mouette rieuse.
Prendre conscience que l’on est capable d’identifier certains oiseaux en vol fait partie des plus grands plaisirs que peut procurer l’ornithologie. Cette prise de conscience est un pas important dans la progression de beaucoup d’ornithologues. Et quand l’identification n’est pas possible, n’oublions pas avant tout de profiter du spectacle magique de la migration ! Sans même tenter de les identifier, le simple fait d’observer tous ces oiseaux qui migrent avec tant de détermination vers leurs contrées d’hivernage en dépit de tous les obstacles qu’ils rencontrent au cours de leur périple est bel et bien époustouflant.
Identifier les oiseaux en vol : difficile mais pas impossible
Une fois l’identification des premiers oiseaux acquise, vous pouvez passer à l’étape suivante. Distance, vitesse, petite taille… L’ identification de certaines espèces en migration active est parfois complexe. Il faut malgré tout y croire, et tenter de progresser étape par étape.
Avec un peu d’habitude et d’entraînement, il devient possible d’identifier certaines espèces migratrices communes de petite taille, telles que le Pinson des arbres (deux barres alaires blanches très visibles), l’Alouette des champs (ailes triangulaires à base large), l’Étourneau sansonnet (ailes triangulaires, pointues, aux arêtes rectilignes, queue courte). Les grives (musicienne, mauvis, draine et litorne) sont toutes les quatre également susceptibles d’être observées en migration dans nos régions. Différencier les grives entre elles n’est pas toujours facile, mais attribuer un oiseau passant en vol à ce groupe d’oiseaux devient vite accessible à tout ornithologue.
Identifier même en conditions difficiles… et s’autoriser à ne pas trancher
Le mâle de Canard siffleur a une large plage blanche sur l’aile contrastant fortement avec le reste du plumage. Ce canard migrant en groupe, repérer cette plage blanche sur certains individus d’un groupe permet de les identifier.
Que l’on ait affaire à un oiseau bien connu ou plus complexe à identifier, de nombreux facteurs peuvent rendre l’observation d’une espèce difficile. Mais ce n’est pas parce que l’on ne voit pas tout que l’identification est impossible. Dans beaucoup de cas, même avec une vision très partielle de l’oiseau, il est possible de l’identifier. Vous avez observé un groupe d’une dizaine d’oiseaux en vol et la seule chose que vous avez pu distinguer est une tache claire au niveau de l’épaule ? Il s’agit plus que probablement d’un groupe de Pinsons des arbres.
En vol, la Barge à queue noire se distingue de sa cousine la Barge rousse par une barre alaire longitudinale sur l’aile, et par un croupion blanc contrastant avec les rectrices noires.
Avec l’expérience, il est possible de focaliser son regard pour chercher à voir ce qu’il faut voir afin d’identifier un oiseau, à aller chercher les critères d’identification. Par exemple, lors du passage d’un limicole en vol, on regardera en priorité le bec (taille et forme), les ailes (présence ou non de barres alaires) et l’ensemble queue-croupion-dos (présence de motifs ou de contrastes particuliers), car l’expérience nous apprend que ces critères là permettent de différencier de nombreuses espèces.
S’il n’est pas possible de l’identifier jusqu’à l’espèce, on peut parfois au moins déterminer de quelle genre il s’agit. C’est en essayant d’identifier “le plus possible” d’oiseaux “le plus précisément possible” (pas forcément jusqu’à déterminer l’espèce unique), que les progrès ont lieu, sans même que l’on ne s’en rende compte.
Identifier par comparaison
Une fois que l’on est familiarisé avec les espèces les plus communes et les plus simples à identifier, il devient aussi possible d’identifier par comparaison les espèces qui leurs sont proches. Par exemple, l’Alouette lulu ressemble fortement en vol à l’Alouette des champs, mais sa queue est extrêmement courte (et son cri est différent). Le Pigeon colombin se différencie du Pigeon ramier par sa plus petite taille, sa queue plus courte, et l’absence de barre alaire et de tache blanche au cou. Le Pinson du Nord possède un bas-ventre blanc bien visible en vol, et ses barres alaires sont beaucoup plus discrètes que celles de sont cousin le Pinson des arbres. Enfin, le Héron pourpré se distingue du Héron cendré en raison de son bec plus fin et plus pointu, et de son cou formant un pli tombant. Ces quelques exemples très simplifiés montrent l’intérêt de bien observer les espèces communes, car c’est en les connaissant que les espèces moins fréquentes seront plus facilement détectées et identifiées.
Le Héron cendré possède un bec en forme de poignard relativement large, aux culmens légèrement arrondis, le pli du cou est aligné avec le corps, et les doigts sont généralement tenus serrés.
Le bec du Héron pourpré est plus long, plus fin et plus pointu que celui du Héron cendré; le pli du cou est légèrement tombant ; les doigts du Héron pourpré sont plus longs et plus souvent tenus écartés en vol que chez le Héron cendré.
Au-delà des critères de plumage
En vol encore plus que pour les oiseaux posés, les critères de structure morphologique (taille et forme des ailes, de la queue, du bec, des pattes…) sont d’une importance capitale dans l’identification des oiseaux.
La silhouette de la Spatule blanche en vol est très typique. Elle vole le cou tendu contrairement aux oiseaux de la famille des hérons (ardéidés), le cou forme une courbe caractéristique, et la forme unique du bec est souvent visible à courte ou moyenne distance.
La Cigogne blanche est un oiseau de grande taille qui vole le cou tendu. Ses ailes sont larges et longues, de largeur relativement constante, leur donnant une allure rectangulaire. Le bec est long (plus long que chez la Grue cendrée) et pointu. La visibilité du contraste noir et blanc dépend des conditions de luminosité.
Comme les cigognes et la Spatule, la Grue cendrée vole le cou tendu. Sa silhouette se distingue par un bec pointu qui est court par rapport à la taille de l’oiseau. Les grues sont également très loquaces en vol, et leur cri est caractéristique.
Les caractéristiques du vol sont aussi des éléments importants. L’aspect onduleux du vol (trajectoire en sinusoïde dans un plan vertical) est l’une des plus faciles à appréhender. Les bergeronnettes, par exemple, ont un vol particulièrement onduleux, qui leur permet d’être distinguées de la quasi-totalité des autres passereaux migrateurs. Avec de l’expérience, l’amplitude de l’ondulation permet même de différencier les trois espèces entre elles : l’ondulation est maximale pour la Bergeronnette des ruisseaux, intermédiaire pour la Bergeronnette grise, et faible pour la Bergeronnette printanière. L’amplitude des battements d’ailes constitue également, dans certains cas, un indice significatif. Le Coucou gris par exemple, donne l’impression que ses ailes ne dépassent quasiment pas l’horizontale lorsqu’il vole.
Le groupe dans lequel vole éventuellement l’oiseau fournit aussi de précieuses informations. L’oiseau vole-t-il en groupe ou seul ? Quel est le nombre approximatif d’individus constituant le groupe ? Quelle est la structure du groupe ? Quelle forme prend-il en vol ? Les Étourneaux sansonnets volent généralement en groupe lors de leurs migrations, souvent en grand nombre, et la caractéristique de ces groupes est que les oiseaux en tête forment un front perpendiculaire à la direction du vol. Ainsi, sans avoir cherché à observer le moindre critère à l’échelle d’un oiseau individuellement, l’espèce peut être déterminée. De tels critères ont l’avantage de pouvoir être visibles à l’œil nu si les oiseaux passent à proximité, et permettent également d’identifier des oiseaux à une distance où aucun critère de plumage n’est visible. Bien que ce ne soit pas systématique, les Pigeons ramier forment parfois de grands groupes lors de leurs déplacements migratoires, dont la forme est approximativement sphérique. On parle alors de “boules” de pigeons.
Le Cahier d'identification des Passereaux d'Europe en vol, la référence pour l’observation des oiseaux en migration
Ce guide est exclusivement consacré aux critères d’identification visibles en vol : critères de structure, contrastes et coloration, caractéristiques du vol, descriptions des groupes, cris de vol. Il est richement illustré de dessins et de photos d’oiseaux en vol dans différentes positions, et contient de nombreuses planches comparatives. En plus des sonogrammes représentés, l’ouvrage contient des liens vers des enregistrements des cris de vol, ce qui permet d’y avoir facilement accès sur le terrain via un smartphone. Pour une sortie exclusivement consacrée à l’observation de la migration active, ce guide remplace avantageusement le classique Guide Ornitho, plus polyvalent.
Les cris de vol, un outil indispensable à l’identification
L’identification des oiseaux migrateurs grâce à leurs cris de vol est un complément précieux de l’identification visuelle. Dans de nombreux cas, l’identification auditive est même la base de l’identification en vol. Pour les passereaux d’apparence similaire, le cri permet souvent de faciliter la distinction entre espèces proches. Les pinsons en offrent un bel exemple : le cri “tchup” du Pinson des arbres est très différent du “djièèè” prolongé et nasillard du Pinson du Nord. Les cris de vol des grives sont également des auxiliaires précieux pour discerner les quatre espèces les unes des autres.
Il est donc très utile de mémoriser les cris de quelques espèces de référence. Dans un premier temps, on peut se focaliser sur quelques espèces fréquentes en passage migratoire, et aux cris de vol typiques. Outre les grives (quatre espèces) et les pinsons (deux espèces) cités ci-dessus, les cris des espèces suivantes constituent une bonne base de référence : les autres fringilles (Linotte mélodieuse, Chardonneret élégant, Verdier d’Europe, Tarin des aulnes), le Pipit farlouse et le Pipit des arbres, l’Alouette des champs et l’Alouette lulu, les bergeronnettes (grise, printanière et des ruisseaux), le Bruant des roseaux.
Pour se familiariser avec les cris d’oiseaux
Sans surprise, les onomatopées telles que “tchup” et “djièèè” sont d’une utilité très limitée pour retranscrire les cris des oiseaux. Pour les apprendre, il n’y a rien de tel que des enregistrements. Pour mémoriser les cris des espèces de références ou pour identifier des cris inconnus, il existe de nombreuses sources d’information. La base de données de référence pour les vocalisations des oiseaux est sans conteste le site xeno-canto (https://xeno-canto.org/). On y trouve de très nombreux enregistrements des cris et des chants de tous les oiseaux du monde. La plupart des livres sur les vocalisations des oiseaux incluent des liens vers des enregistrements en ligne des cris et/ou chants auxquels il est fait référence dans l’ouvrage. L’application (payante) du Guide Ornitho contient les cris les plus fréquents de la majorité des espèces susceptibles d’être contactées lors de séances de suivi de la migration active dans notre pays. On peut enfin mentionner les applications BirdNET et Merlin Bird ID, qui permettent d’enregistrer les vocalisations des oiseaux et de les identifier ensuite.
Où observer la migration active ?
En Belgique :
- Wallonie : Honnay (Beauraing)
- Flandre : De Fonteintjes (Blankenberge)
- Bruxelles : Forêt de Soignes, Vallée de la Woluwe, suivis organisés par la Commission Ornithologique de Watermael-Boitsfort (COWB ; https://www.cowb.be/)
- Pour trouver un site près de chez soi : https://www.trektellen.nl/maps/index/2/0
À l’étranger :
- Cap Gris Nez (France, Pas-de-Calais)
- Col d’Organbidexka (France, Pyrénées-Atlantiques)
- Cap Ferret (France, Gironde)
- Breskens (Pays-Bas, Zélande)
Bases de données en ligne sur la migration
- Trektellen (https://www.trektellen.nl/) : le site de référence pour l’encodage et la consultation des données d’observation des oiseaux en migration. Pour chaque site de comptage, le nombre d’oiseaux de chaque espèce est mentionné pour chaque jour d’observation. Cette base de données contient également un module statistique permettant d’analyser les données de passage migratoire.
- EuroBirdPortal (https://www.eurobirdportal.org/) : cet outil centralise les informations de plusieurs bases de données nationales (telles qu’observations.be) pour rendre visible la progression de la migration des oiseaux à travers l’Europe presque en temps réel (les données sont actualisées toutes les 24h). La base de données est actuellement en maintenance pour plusieurs mois, mais la nouvelle version contiendra bientôt toutes les espèces observées en Europe.
- Observations.be (https://observations.be/) : ce n’est pas la base de données la plus appropriée pour les informations liées à la migration, mais il est possible d’y encoder les espèces observer en vol, en indiquant le nombre d’individus et la direction du vol.
- BeBirds (https://odnature.naturalsciences.be/bebirds/fr/ring-recoveries) : ces cartes permettent de visualiser les trajets effectués par les oiseaux bagués en Belgique, ou retrouvés en Belgique.