La Chevêche d’Athéna ou Chouette chevêche : symbole de la sagesse et de la résilience ; un oiseau qui disparaît pourtant, dans l’indifférence des hommes…, comme beaucoup d’autres espèces des milieux ouverts.
© Etienne Bauvir
Pourquoi les chevêches d’Athéna disparaissent-elles chez nous ?
L’espèce a commencé à régresser dès la relance économique, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, entre autres suite aux remembrements agricoles qui ont nécessité l’arrachage des haies et occasionné la disparition progressive des vergers à hautes tiges. L’intensification des pratiques de culture et, plus récemment, l’étalement urbain dans la ceinture immédiate des villages — là où se trouvent généralement la majorité des sites à chevêches — ont provoqué la disparition de nombreux biotopes favorables au petit rapace.
Enfin, la déprise agricole des dernières décennies (moins 60 % d’exploitations agricoles lors des 30 dernières années en Wallonie) ne lui est pas favorable non plus.
Dans tous les cas, le milieu prairial et bocager s’altère et/ou disparaît et prive l’oiseau de son habitat de prédilection qui est généralement composé de zones de pâturage parsemées de quelques vieux arbres, petits bocages, cabanons et autres dépendances agricoles.
Les causes de disparition progressive des chouettes chevêches sont multifactorielles ; elles résultent principalement de l’altération, la destruction ou la fragmentation des habitats de l’espèce. La faible dynamique de population chez cet oiseau explique aussi sa difficulté à se maintenir dans des biotopes par ailleurs de plus en plus précaires, voire inhospitaliers, mais dans lesquels l’oiseau s’accroche le plus souvent, coûte que coûte.
Des habitats de moins en moins accueillants
Les modifications des paysages et pratiques agricoles affectent non seulement les possibilités de nidification, par suite de la disparition de trop nombreux vieux arbres et autres sites à cavités, mais aussi la disponibilité des proies.
Lorsque les micromammifères viennent à manquer — le phénomène est cyclique et régional, et ce fut encore le cas cette année, en Famenne-Calestienne — les invertébrés peuvent représenter une source de nourriture capitale pour les oiseaux, notamment en période de nidification.
Or, une étude récente (Hallmann et al. 2017) — dont les conclusions sont probablement en grande partie transposables dans nos régions — révèle un déclin important, de l’ordre de 75 %, de la biomasse des insectes volants en Allemagne, entre 1989 et 2016. [14] Sans compter que des printemps froids — comme celui que nous venons de connaître en 2021 — peuvent réduire considérablement le volume d’insectes.
Le succès des nichées est dès lors généralement de moindre importance, et les poussins peuvent être nourris temporairement à l’aide de lombrics et autres petites proies qui nécessitent davantage d’efforts de capture et d’allées et venues des adultes, des zones de chasse vers leur aire de nidification.
Ces déplacements incessants ne passent pas toujours inaperçus et peuvent occasionner des « accidents de parcours » chez les parents nourriciers, d’autant que l’altération des habitats ne permet souvent plus aux oiseaux de profiter de suffisamment d’arbres, comme postes de relais de chasse, qui soient bien répartis par rapport à leur site de reproduction. Il en résulte une exposition accrue des chevêches à la prédation et aux accidents.
Sans compter que les cavités de nidification, qui hébergent des oisillons nourris majoritairement à l’aide de vers de terre, peuvent se transformer en véritable cloaque, tant l’apport d’humidité par les adultes lors de chaque nourrissage, ainsi que la décomposition des restes de proies, transforment le nid en un milieu infect, propice au développement de maladies souvent fatales aux poussins !
À l’inverse, les périodes d’abondance de micromammifères — tous les 3-4 ans et spécialement en ce qui concerne les campagnols des champs — offrent une nourriture abondante, riche en biomasse et facilement accessible aux chevêches (et autres rapaces) et amenuisent les risques de prédation, par les carnassiers, sur les pontes, nichées et même parfois sur les adultes. Ce fut observé, en Famenne-Calestienne, en 2012, 2015 et 2019, années à pic de reproduction des campagnols des champs, et à record du nombre moyen de poussins de chevêches, à l’envol et par nichée. Aux Pays-Bas, 2019 fut localement une année exceptionnelle pour la reproduction des chevêches, due aussi à une certaine abondance de micromammifères [15].
Mais, chaque « mauvaise année » de reproduction impacte négativement les petits effectifs régionaux de cet oiseau déjà menacé de toutes parts…
Une dynamique de population défavorable
Par ailleurs, le potentiel d’expansion de la population de chevêches d’Athéna est faible, notamment pour les raisons évoquées ci-après.
Un pouvoir reproducteur faible et un taux de mortalité post-juvénile important
L’oiseau n’effectue qu’une seule ponte annuelle, de 4 œufs en moyenne. Les pontes de remplacement, en cas d’échec de nidification, sont rares ; tandis qu’en moyenne, seuls 2 à 3 poussins par nichée entamée s’émancipent, et que le taux de décès des oiseaux, dans les premiers mois (jours) de leur vie, est très important. Ainsi, comme c’est le cas pour beaucoup d’autres espèces d’oiseaux, près de 80 % des jeunes chevêches n’atteindraient pas leur 1re année de vie. [16] Un pourcentage de survie de l’ordre de 20 % des jeunes oiseaux, qui doivent à la fois assurer le remplacement des adultes qui disparaissent et une certaine progression de l’effectif, peut paraître insuffisant pour booster réellement la population de cette espèce !
Collision par le trafic routier, prédations diverses, chutes dans les cheminées, noyades dans les abreuvoirs, pièges divers, intoxications alimentaires, maladies : un cocktail explosif pour les chevêches en quête d’expansion démographique.
Les divers facteurs de causes de mortalité précoce, tant chez les adultes que chez les poussins de chevêches, dès leur émancipation ou lors de leur dispersion post-juvénile, ne cessent d’ailleurs d’augmenter.
© Etienne Bauvir
Le trafic routier
Il représente une des 1res causes de mortalité chez ces oiseaux : il a connu une progression fulgurante ces dernières décennies, affichant une hausse de 33 % entre 1995 et 2017, sur un réseau routier parmi les plus denses au monde et toujours plus fréquenté, partout, de jour comme de nuit ! [17]
Beaucoup d’oiseaux, spécialement les chevêches et les effraies des clochers, sont régulièrement percutés par les véhicules routiers, même sur les routes de villages et chemins de campagne, sur lesquels les usagers circulent souvent trop vite…
La prédation
Les disparitions d’oiseaux, suite à des prédations, sont difficilement chiffrables ; mais il est probable que beaucoup finissent entre les serres d’autres rapaces diurnes et nocturnes (autours, éperviers, grands-ducs, hulottes peut-être plus rarement ?) ou les dents d’animaux domestiques (chats, chiens…) et autres carnassiers sauvages (renards, fouines…) ; voire encore piétinés par le bétail, dans les tout premiers jours après leur sortie du nid.
Une étude réalisée en Allemagne cite d’ailleurs la prédation comme première cause de mortalité des chevêches. [18]
Les chutes dans les cheminées et les noyades en milieu prairial
Une partie des oiseaux (de 10 à 20 % ? — adultes comme juvéniles) tombent dans les cheminées ou tuyaux divers des habitations situées dans leur périmètre de chasse, ou dans leur zone d’exploration en vue de trouver un nouveau territoire où s’établir. Ils y perdent généralement la vie, sauf si un bruit suspect au pied de la cheminée donne l’alerte et si l’oiseau peut être extrait du conduit ou de l’appareil de chauffage à l’arrêt !
Le phénomène doit probablement s’amplifier ces dernières décennies, compte tenu de la progression inquiétante de l’étalement urbain en périphérie immédiate des villages : autant de nouvelles cheminées-pièges dans un environnement souvent fréquenté par les chevêches, qui manquent par ailleurs cruellement de cavités naturelles où pouvoir se réfugier. Nous avons noté plusieurs cas de chutes dans les cheminées d’habitations en Famenne-Calestienne dont 2 nichées, juste après leur envol, qui, grâce à la vigilance humaine, ont pu être sauvées, ainsi qu’une femelle nourricière.
Par ailleurs, chaque saison de nidification, de jeunes oiseaux se noient dans les abreuvoirs destinés au bétail en prairie. Les oiseaux s’y baignent le plus souvent pour se débarbouiller le plumage parfois très souillé, notamment dès leur sortie de la cavité de nidification, ou encore pour capturer une proie, elle-même prise au piège (insecte ou micromammifère).
La conception et les parois lisses de l’abreuvoir (quelquefois une baignoire désaffectée) ne permettent généralement pas aux oiseaux mouillés de pouvoir en ressortir. Nous n’avons constaté que quelques cas de noyades en Famenne-Calestienne, mais n’avons pas fait le tour de tous les abreuvoirs, disposés un peu partout en prairies…
Les pièges multiples que rencontrent les oiseaux lors de leurs déplacements
Percuter une baie vitrée, entrer en collision avec une clôture en fil barbelé, tomber dans un tuyau d’évacuation de gouttière, dans un avaloir, un poteau creux ou un puits à ciel ouvert, se faire électrocuter… Des causes d’accidents qui affectent maintes espèces animales, mais dont certaines impactent davantage les oiseaux cavernicoles.
Des cas d’intoxications alimentaires sont encore constatés (ou suspectés), notamment suite à l’ingestion de proies contaminées par les substances rodenticides (utilisées par les particuliers ?) ou par les vermifuges destinés à traiter le bétail, qui empoisonnent, entre autres, les géotrupes et autres insectes coprophages appréciés par les chevêches.
Les derniers bastions de chevêches d’Athéna en Wallonie [11]
Ils sont principalement localisés en Moyenne Belgique (Région limoneuse du Hainaut occidental et en Hesbaye) et dans le Condroz (Entre-Sambre-et-Meuse et Pays de Herve). En Ardenne et en Lorraine l’espèce est devenue très rare, tandis qu’une petite population subsiste, et progresse même, ces dernières années, en Famenne, entre autres suite à la mise en œuvre d’un projet de protection de l’espèce.
En savoir plus
Bibliographie :
[1] Th. Mebs & W. Scherzinger (2006) : Rapaces nocturnes de France et d’Europe, Delachaux & Niestlé, 398 p.
[2] Ph. Smets (Steenuilwerkgroep Natuurpunt) « 28 jaar steenuilonderzoek in Vlaams-Brabant » in Uilen n° 9 (décembre 2019) — pages 102-111. F. Bathy et al. (2021) : rapport d’activité 2016-2020 sur la conservation de la chevêche d’Athéna en Famenne-Calestienne.
[3] M. Grüebler – Swiss Ornithological Institute (2015) : Survival, range use and dispersal of little owls in Southern Germany – New insights and implications for conservation, in : 6th International Little Owl Symposium – 20-22 03/2015 Nieuwvliet Zeeuws-Vlaanderen (Nederland) : annual variation in home-range size.
[4] Les observations relatives au déplacement des oiseaux sont issues de l’analyse des données du baguage et du contrôle des oiseaux en période de nidification (en Famenne-Calestienne). Cette méthode de marquage et de suivi des oiseaux qui nichent en nichoirs — et en particulier des chevêches d’Athéna — est très peu intrusive ; elle n’affecte en rien le bon déroulement de la nidification. Nous la pratiquons avec beaucoup de sérénité sur cette espèce particulièrement tolérante. Les bagues sont mises à disposition par l’IRSNB, organisme de certification des bagueurs. — Centre belge de baguage – BeBirds, que nous remercions, de même que les collaborateurs-bagueurs qui nous font part de leurs observations et participent au financement du système. L’autorisation de baguage en notre possession est délivrée par le SPW — Wallonie Environnement, à titre de recherche scientifique et, notamment, par dérogation à la loi sur la conservation de la nature.
[5] R. van Harxen, P. Stroeken & Th. Boudewijn, dans « V. Keller, S. Herrando, P. Vorisek & al. (2020) : European Breeding Birds Atlas 2 : Distribution, Abundance and Change. — European Bird Census Council & Lynx Edicions, Barcelona, 967 p.
[6] N. Issa & Y. Muller coord. (2015) : Atlas des oiseaux de France métropolitaine – Nidification et présence hivernale – LPO/SEOF/MNHM – Delachaux et Niestlé, Paris, 1408 p.
[7] Birdlife Suisse – https://birdlife.ch/index.php/
[8] En Alsace (LPO Alsace, B. Scaar et al.), dans le Bade-Würtemberg (NABU – Nature and Biodiversity Conservation Union) dans les Yvelines (ATENA 78 – Association Terroir et Nature en Yvelines, D. Robert et al.), dans la région de Charleroi (NOCTUA, J. Bultot, Th. Votquenne & al.), en Flandre (Steenuilwerkgroep Natuurpunt, Ph. Smets et al.), aux Pays-Bas (STONE Nederland, R. van Harxen et al.), en Famenne-Calestienne (projet en partenariat multiple) …
[9] L. Lippens & H. Wille, (1972) : Atlas des oiseaux de Belgique et d’Europe occidentale, Lannoo, Tielt.
[10] P. Devillers, W. Roggeman, J. Tricot, P. del Marmol, Ch. Kerwijn, J-P. Jacob, A. Anselin (1988) : Atlas des oiseaux nicheurs de Belgique — Institut Royal des Sciences naturelles de Belgique — Bruxelles.
[11] J-P. Jacob, C. Dehem, A. Burnel, J-L. Dambiermont, M. Fasol, T. Kinet, D. van der Elst & J-Y. Paquet (2010) : Atlas des oiseaux nicheurs de Wallonie 2001-2007 — Aves & Région wallonne, Gembloux. 524 p. et comm. pers. Jean-Yves Paquet (2019) — COA Aves — Natagora.
[12] L. van de Velde — Vogelwerkgroep Zomergem (2019) : Inventarisatie steenuilen Zomergem 2014-2019 (- 50 % steenuilenterritoria tussen 2014 en 2019).
[13] G. Vermeersch, A. Anselin, K. Devos, M. Herremans, J. Stevens, J. Gabriëls & B Van der Krieken. (2004) : Atlas van de Vlaamse Broedvolgels : 2000 – 2002 – Instituut voor Natuurbehoud, 498 p.
[14] CA. Hallmann, M. Sorg, E. Jongejans, H. Siepel, N. Hofland, Heinz Schwan, & al. (2017) : More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas. in « https://journals.plos.org/
[15] R. van Harxen & P. Stoeken (STONE Nederland) (2019) : « 2019, wat een steenuilenjaar ! » in Uilen n°9 (décembre 2019) – pages 90-97 ;
[16] R. van Harxen : (2015) : Overlevering van jonge steenuilen gedurende het eerste levensjaar in periode 1973-2009 – 6th International Little Owl Symposium – 20-22 03/2015 – Nieuwvliet Zeeuws-Vlaanderen (Nederland) – Little Owls in the Netherlands – Organization, Research and Protection – STONE Nederland.
[17] Roulex 45 — Wikipedia — Travail personnel, CC BY-SA 4,0, https://commons.wikimedia.org/
[18] M. Grüebler – Swiss Ornithological Institute (2015) : Survival, range use and dispersal of little owls in Southern Germany – New insights and implications for conservation, in : 6th International Little Owl Symposium – 20-22 03/2015 Nieuwvliet Zeeuws-Vlaanderen (Nederland) : « répartition des causes de mortalité de 180 chevêches retrouvées pendant la durée d’une étude de 2009 à 2013, dans le Wurtemberg ».
[19] J-P. Jacob & M. Paquay (1992) : Oiseaux nicheurs de Famenne — Atlas de Lesse et Lomme, Aves, Liège.
[20] Nous tenons bien volontiers les plans de construction de ce nichoir à disposition des personnes intéressées par la conservation de cette espèce — francis.bathy@skynet.be.
[21] La fouine bénéficie d’un statut de semi-protection en Wallonie. En tout cas, contrairement à certaines croyances populaires, cette espèce ne peut être massacrée pour chaque petit acte de prédation ou dérangement qu’elle commet. Elle ne peut légalement être piégée ou tuée que dans des cas bien précis, après avoir tenté de l’éloigner sans lui nuire ! Une fouine, qui squatte un nichoir et/ou en détruit le contenu, ne peut donc pas être inquiétée ! À nous de concevoir des nichoirs qu’elle peut difficilement visiter…
[22] https://yesweplant.wallonie.
[23] M. Juillard (1985) — La Chouette chevêche — Nos Oiseaux, Société romande pour l’étude et la protection des oiseaux, 243 p.
[24] Plainte a été déposée auprès de l’Unité Anti-Braconnage du Département de la Nature et des Forêts.