C’est principalement en période hivernale, quand le nourrissage concentre un grand nombre d’oiseaux dans nos jardins, que leur brusque absence se remarque à certaines heures de la journée mais principalement à la tombée du jour, et que la question se pose : « Mais où dorment les oiseaux ? ». L’oiseau ne se cache pas uniquement pour mourir, mais surtout pour se reposer ou sommeiller durant plus du tiers de son existence…
© Benoît Huc
Le sommeil des oiseaux
Le sommeil est un assoupissement naturel des sens qui procure le repos. Cette définition classique s’applique principalement à l’homme car, en ce qui concerne la faune sauvage (sauf en cas d’hibernation), il s’agit plutôt d’une « torpeur » ou d’un « semi-éveil » conditionné par la vigilance indispensable à la sécurité de l’individu. Ce stade d’immobilité (qui n’est pas totale pour tous les oiseaux) n’empêche nullement un battement de paupières qui décèle une certaine excitation permanente. La durée de ce repos, qui peut être entrecoupé d’activités nocturnes pour certaines espèces, équivaut au tiers du cycle de 24 heures. Elle est cependant tributaire de certains facteurs : la saison, les conditions de nidification ou de migration, la latitude, l’habitat, le mode de vie, l’espèce, l’âge, le comportement social, etc.
En général, les oiseaux dorment, sommeillent ou se reposent durant la partie de la journée au cours de laquelle ils ne recherchent pas leur nourriture. Mais ce rythme n’implique pas forcément le fait que les oiseaux qui s’activent pendant la journée doivent impérativement se reposer la nuit ou inversement. Tout dépend du moment durant lequel la nourriture est disponible…
Un sommeil dans toutes les positions
La position du sommeil est variable suivant l’espèce : elle peut être assise, debout ou perchée (sur une ou deux pattes), ou encore flottante pour les oiseaux d’eau, le bec engoncé dans les plumes des scapulaires (dos) ou sous une aile.
La plupart des passereaux se perchent sur des branches horizontales, mais les pics s’accrochent aux troncs d’arbres verticaux ou aux grosses branches, tout comme les grimpereaux. Ces derniers préfèrent choisir des fissures dans les écorces tendres afin de s’y abriter. Certains perroquets (Loriculus), quant à eux, pendent la tête en bas, tels des chauves-souris.
Le confort des oiseaux de petite ou moyenne taille (Pinson des arbres, Verdier d’Europe, Accenteur mouchet, Merle noir, etc.), qui se perchent sur de fines branches pour dormir, est automatiquement assuré. En effet, lorsque les pattes sont pliées sous le poids du corps, des tendons verrouillent mécaniquement les doigts fermement autour de la branche. Ce mécanisme permet à l’oiseau posé de se maintenir sans effort et en équilibre sur sa branche, et ce même quand des coups de vent l’agitent.
En général, surtout de nuit et en dehors de la saison de nidification, les canards se regroupent sur un plan d’eau pour y flotter tout à l’aise, à l’abri des prédateurs.
Chambre unique ou dortoir
L’emplacement du reposoir, choisi de façon isolée ou communautaire, dépend naturellement de l’habitat et de la saison, mais aussi de l’espèce et de son comportement social ou grégaire. Mais de toute façon, il est régi par deux facteurs importants : la chaleur (perte d’énergie minimale, surtout en hiver) et la sécurité (être à l’abri des prédateurs potentiels).
Tout naturellement, en période de nidification, la couveuse reste au nid tandis que le mâle n’est jamais très éloigné.
Pour nos petits cavernicoles, par temps très pluvieux ou en période de gel, il n’est pas rare que d’anciens couples ou de jeunes oiseaux se rassemblent dans leur nichoir.
Le gîte de nuit a une signification capitale pour la Mésange charbonnière (Parus major). Elle dort à l’abri dans une petite cavité d’arbre ou de muraille, ou dans un nichoir qu’elle est la seule à occuper. Ce n’est pas chaque soir le même abri mais c’est toujours dans le même secteur, auquel elle est restée fidèle. En été, cependant, la plupart des mésanges charbonnières qui ne sont pas au nid passent la nuit dans les feuillages (Géroudet 1957).
La Mésange noire (Parus ater) passe la nuit solitaire, dans le trou étroit d’un arbre, dans une crevasse d’écorce, dans l’épaisseur d’un lierre (à l’instar du Moineau domestique de nos villes) ou même dans quelque vieux nid (Ruttledge 1946).
On connaît les « rondes » des mésanges à longue queue (Aegithalos caudatus) – ces oiselets ne sont qu’anormalement solitaires – qui ne s’éloignent pas à plus de trois kilomètres de leur lieu de nuitée. À la tombée de la nuit, l’essaim se contracte : dans le fourré, sur une branchette, les petits corps se pressent l’un contre l’autre pour se réchauffer, se recouvrant même en partie de leurs ailes. Ce n’est plus qu’une boule compacte où les queues semblent piquées telles des épingles dans une pelote.
Chez le mâle du Troglodyte mignon (Troglodytes troglodytes), l’instinct paternel ne se réveille qu’à l’envol de la nichée : le père accompagne alors ses rejetons, leur procurant de temps en temps un insecte et, le soir venu, les conduisant vers un de ses nids postiches où les jeunes passent la nuit. Pas plus que la femelle, il ne reste avec eux la nuit.
Le Merle noir (Turdus merula), tout au moins le sédentaire, dort isolément dans les fourrés, les massifs de rhododendrons, les conifères ou le lierre, sur un territoire ne s’étendant que sur une superficie de quelque 1 200 mètres carrés. Dans certaines localités, les merles quittent par petits groupes les jardins où ils se sont répandus pendant la journée pour rejoindre un dortoir commun tout proche.
La Sittelle torchepot (Sitta europaea) déborde d’activité en toute saison et ne se repose guère de toute la journée. Elle passe la nuit solitaire, dans un trou ou dans la cavité de nichée. En été, le mâle se retire chaque soir dans son propre trou, laissant la femelle au nid. Si les Grimpereaux des jardins (Certhia brachydactyla) ne cherchent pas la compagnie de leurs semblables pour vaquer à leurs affaires, ils se rassemblent la nuit pour gagner chacun leur dortoir : une anfractuosité d’un arbre en général. Ils s’y agrippent en position de grimpeur, calés sur la queue et le bec sous l’aile. Par contre, les jeunes à l’envol se serrent les uns contre les autres jusqu’au petit jour. Les Pinsons des arbres (Fringilla coelebs) en migration s’attroupent dans un gîte nocturne, soit une grosse haie, un taillis de chênes encore garni de feuilles, sinon un groupe de jeunes conifères. Par contre, des couples ou des individus isolés se rassemblent aussi dans les lierres touffus.
Chez le Moineau friquet (Passer montanus), le choix du dortoir, en automne et en hiver, acquiert une grande importance puisqu’il est en relation avec la formation du couple. À cette époque, les friquets cherchent un asile nocturne dans les cavités. Les adultes retournent à leur gîte habituel où ils se retrouvent comme partenaires : leur grande fidélité à ce logis entraîne en général l’union durable des couples. Les jeunes ayant trouvé un refuge à leur goût s’y cantonnent et y trouvent plus tardivement un conjoint pour la cohabitation. La plupart des trous sont occupés la nuit par deux oiseaux de sexe opposé. D’autres reçoivent plusieurs locataires, mais les hôtes superflus sont ensuite chassés par le couple cantonné qui marque sa possession par une présence de plus en plus constante. Souvent, la cavité est aménagée pour la nuit grâce à l’apport de divers matériaux et devient le nid de ponte par la suite.
Quelques cas particuliers ou spectaculaires
La position du sommeil varie selon les espèces. Les grands échassiers ont pour habitude de rester perchés debout au sommet des arbres.
Les Bergeronnettes grises (Motacilla alba) aiment vivre en bandes – sauf pendant la nidification bien sûr – et se rassemblent souvent par dizaines, voire par centaines, pour gagner un dortoir commun dans une oseraie, une phragmitaie ou même, en pleine ville, dans l’épais feuillage des platanes d’un square. Dans les zones campagnardes où se pratiquent la culture maraîchère ou horticole sous verre, ce sont les serres qui se transformeront en gîtes nocturnes. Y recherchant abri, sécurité et chaleur, ces oiseaux font montre de suffisamment d’astuces pour y pénétrer en passant par les petites fenêtres d’aération. Comme l’ouverture et la fermeture de celles-ci s’opèrent de façon automatique suivant la température intérieure obtenue, il arrive souvent que nos bergeronnettes s’y trouvent prisonnières au petit matin.
Les cailles, dont celle de Virginie (Colinus virginiafus), passent la nuit couchées au sol en formant un cercle, toutes les têtes orientées vers l’extérieur. Ainsi, dans les contrées désertiques, peuvent-elles épier tout prédateur potentiel surgissant de n’importe quelle direction. En fait, elles imitent – à moins qu’elles en suscitent l’idée – la ronde des chariots des pionniers du Far West !
Par contre, le Faisan de Colchide (Phasianus colchicus), oiseau typiquement terrestre, se perche la nuit pour se soustraire aux ruses du Renard…
Les limicoles sont des petits échassiers représentés chez nous par les bécasseaux, les gravelots, les pluviers, les courlis ou les barges, et qui fréquentent en grand nombre les vasières maritimes. Après la saison de nidification, le rythme de leurs activités est régi par celui des marées. La recherche de la nourriture et le repos s’y alternent, de nuit comme de jour, sans discontinuité. Ces oiseaux ne se reposent qu’à marée haute quand les vasières, zones de fourrage de prédilection, sont recouvertes par les flots. C’est toujours un spectacle merveilleux d’observer cette masse compacte d’oiseaux stationnant sur une patte, la tête enfoncée dans le plumage, serrés les uns contre les autres face au vent.
Quant aux mouettes rieuses (Chroicocephalus ridibundus) qui sont nombreuses à fréquenter nos grandes villes en prenant possession des rues, des larges pelouses et des faîtes de nos habitations, où vont-elles le soir venu ? En général, déjà bien avant la nuit, ces oiseaux regagnent les eaux calmes et bien abritées d’un canal ou d’un étang. Aux Pays-Bas, une étude a démontré que les mouettes rieuses choisiraient comme « dortoir » les toits des bâtiments des grandes zones industrielles (R. Lensink 1997 – « Het Vogeljaar »).
Mais il reste encore bien des inconnues à élucider quant à la physiologie du repos chez l’oiseau. Beaucoup d’études ont été entreprises en laboratoire mais l’observation sur le terrain reste délicate suite aux grands risques de dérangements qui perturbent immanquablement tout oiseau en éveil. Si le sommeil réduit la perte d’énergie de façon instinctive (Tinbergen 1951) et si ce concept est central dans la théorie de l’immobilisation (Meddis 1975), comment expliquer le mystère du Martinet noir (Apus apus) qui dort en volant ?
© Jean-Marie Poncelet
S’il est vrai que les oiseaux nicheurs se glissent dans leur trou (sous les tuiles par exemple) ou dorment au nid par mauvais temps, pendant la journée, on se demande où peuvent disparaître les jeunes d’un an qui n’ont pas d’attache ? Par les belles soirées, on voit ces oiseaux s’élever en groupes compacts, tournoyant toujours plus haut, et se perdre dans le ciel assombri du crépuscule (Graaf 1947). Passent-ils la nuit dans l’espace ? Malgré les doutes et les controverses, des recherches ont confirmé cette hypothèse (Weitnauer 1947- 1960). Grâce à des expéditions nocturnes en avion, étayées par des contrôles au radar, ce chercheur a prouvé que de nombreux martinets noirs s’élevaient pendant la nuit avec des nappes d’air chaud et atteignaient de hautes altitudes dont ils redescendaient au petit jour. En haute altitude, les martinets dorment-ils vraiment ? Sans doute, planant dans les courants aériens, arrivent-ils à prendre un demi-repos…
Principalement après la période de nidification, les étourneaux sansonnets manifestent une sociabilité très accusée. Leur esprit grégaire s’exprime alors de manière saisissante quand des dizaines, voire des centaines de milliers d’individus s’abattent, en masses compactes, sur un gîte nocturne.
Les limicoles, comme la Barge à queue noire ou les barges rousses et huîtriers pies, alternent, de jour comme de nuit, la recherche de leur nourriture et les périodes de repos au rythme des marées.
Si le mystère a son charme, la présence et le comportement d’autres oiseaux peuvent encore nous procurer étonnement et admiration. C’est le cas de la formation méthodique des rassemblements de troupes d’étourneaux (Sturnus vulgaris) qui convergent vers un dortoir commun et dont nous n’évoquerons ici que l’aspect spectaculaire de son apothéose. Car c’est de manière saisissante que ces oiseaux rallient leur gîte nocturne commun, traditionnellement une oseraie ou des massifs de roseaux. Mais, avec la disparition progressive de ces sites naturels, ceux-ci sont remplacés par des petits bois isolés ou encore des édifices éclairés de nos grandes villes. Un dortoir important peut (encore) regrouper des milliers d’oiseaux, alors que nous avons déjà assisté – dans les années 50 – au rassemblement de plus d’un million d’étourneaux dans une roselière de la Campine anversoise. Venant de « pré-dortoirs » avoisinants, à plus de trente kilomètres à la ronde, les troupes d’étourneaux convergent vers le point de ralliement final. Avant de s’y abattre, on assiste à un des grands spectacles de la nature consistant à des jeux aériens d’une étonnante cohésion appelés murmurations. Ces évolutions aériennes surprenantes sillonnent le ciel, en essaims compacts ; c’était tout à l’heure un ballon, maintenant c’est un ruban noir ; une brusque conversion les rassemble en colonne puis en croissant ; leur formation s’étire puis se masse à nouveau, virevolte, pique et s’élève avec une surprenante rapidité, une perfection ahurissante dans la précision des manoeuvres. A la verticale du dortoir, cette masse se déchire en s’étirant brusquement et plonge, impétueusement, comme aspirée par un goulot invisible, pour s’y déverser.
Que tous les oiseaux puissent dormir (et vivre) en paix !