L’enfer est pavé de bonnes intentions… C‘est un peu un leitmotiv que nous entendons couramment au Centre de Soins pour la Faune Sauvage de Bruxelles.
Ces dernières années, nous prenons en charge de plus en plus d’animaux sauvages gardés des semaines voire des mois ou des années chez des particuliers. Ce qui est au départ considérée comme une «bonne intention» condamne malheureusement souvent l’animal à ne jamais pouvoir retrouver son milieu naturel.
Les plus touchés sont les oiseaux juvéniles : souvent trouvés hors du nid et pas encore assez débrouillards pour voler, ils sont tellement « mignons » qu’il est tentant de vouloir s’en occuper. Cependant, comme les nourrissons, un jeune oiseau a des besoins très spécifiques essentiels à sa croissance mais aussi à l’acquisition d’un comportement approprié à son espèce. Dès lors, garder un oisillon sans notion de leur prise en charge entraîne dans la majorité des cas des conséquences irréversibles qui auraient pu être évitées par une prise en charge
par des professionnels.
Nourrissage au jaune d’œuf, à la viande crue, au pâté d’oie, à la purée mousline ou encore au pain de mie trempé dans du vin… voici quelques exemples de nourriture totalement inadaptée donnée à de jeunes oiseaux par des particuliers, qui trouvent souvent leurs informations sur internet.
Les seules informations fiables pour la prise en charge de la faune sauvage sont celles relayées par les centres de soins !
Dégâts à court terme – Plumage sale
Il est très courant que les particuliers nous amènent des jeunes oiseaux au plumage sale, collé par de la nourriture inadaptée. Arrivé au centre, nous devons alors prendre du temps pour nettoyer un maximum le plumage, ce qui engendre un énorme stress supplémentaire à un animal déjà affaibli et terrorisé.
Voici ci-contre l’exemple de deux Moineaux domestiques nourris au jaune d’œuf, le plumage sale et collant. Dans certains cas, l’animal ne supporte pas le nettoyage malgré toutes les précautions que nous prenons pour limiter le stress.
Si vous trouvez un juvénile et qu’il est possible de le transférer en centre de soins dans les 24h, ne donnez pas de nourriture ! La priorité est la réhydratation et la chaleur. Sans connaître les techniques de nourrissage, il ne faut en aucun cas tenter de nourrir un jeune animal sauvage en se basant sur des informations qui n’émanent pas d’une structure spécialisée.
Dégâts à long terme – Stress
Tout animal sauvage détenu en captivité, même durant peu de temps, subit un stress qui affaiblit son système immunitaire et peut à terme compromettre ses chances de survie. Il ne faut pas traiter un animal sauvage comme un animal domestique en lui parlant, en le prenant contre soi, en voulant le «rassurer». Pour eux, nous sommes des prédateurs, pas leurs sauveurs. Le mieux est toujours de les laisser dans le noir et au calme avant de les transférer en centre de soins.
Carences
Les carences alimentaires durant la croissance, dues à une alimentation non adaptée, entraînent des dégâts souvent irréversibles : plumage abimé, plumes cassantes, pattes malformées, os mous…
L’alimentation que nous donnons aux juvéniles est adaptée en fonction de l’espèce et de l’âge de l’animal, avec des compléments spécifiques pour garantir un bon plumage et un développement osseux et musculaire satisfaisant.
Cette Corneille, gardée en captivité 10 ans, est un triste exemple de maltraitance: presque entièrement aveugle, un plumage poisseux, une peau abîmée et parasitée, des plumes cassées, un comportement anormal… Notre vétérinaire a malheureusement dû choisir de mettre fin aux souffrances de l’animal, qui n’aurait jamais pu retrouver son milieu naturel.
Imprégnations
C’est probablement la pire hantise des soigneurs. Un animal imprégné est un animal sauvage qui a été habitué à l’Homme et ne le craint plus du tout, et pire, le considère comme un individu de son espèce. Il n’a donc appris aucun code de sa propre espèce et, dans les cas irréversibles, ne sera jamais capable de survivre dans son milieu naturel.
Plus un animal reste longtemps en présence de l’Homme, plus il a de chance d’être imprégné. Les espèces les plus sensibles sont les jeunes corvidés et les jeunes mammifères en général.
Les centres de soins disposent de protocoles très strictes empêchant l’imprégnation : rassembler les individus de la même espèce ensemble, les manipuler au strict minimum et limiter notre présence dès qu’ils sont capables de se nourrir seuls.
Voici l’exemple de ce jeune Geai élevé plusieurs semaines par des particuliers, et se baladant dans la maison comme un oiseau domestique. Finalement inquiets, les découvreurs nous ont demandé conseil, voyant que l’animal n’avait aucune intention de partir… Une demande trop tardive, l’animal étant déjà complètement imprégné.
Les dangers des « bonnes intentions »
Quand quelqu’un se fait renverser par une voiture, on ne s’imagine pas le ramener chez soi pour soigner sa jambe cassée, mais nous contactons immédiatement les services d’urgence… Pourquoi serait-ce différent pour un animal blessé ?
Ce jeune Merle, gardé presque dix jours chez des particuliers, a été déposé au centre de soins car son état se dégradait… Nourri au jaune d’oeuf, il est arrivé maigre et incapable de se tenir debout. Très vite, des troubles neurologiques sont apparus, et il est malheureusement décédé le lendemain de son arrivée malgré nos efforts pour le stabiliser.
Avant d’agir, il faut prendre du recul et réaliser quand nous n’avons pas les compétences nécessaires au lieu d’improviser des soins et condamner un animal qui aurait pu avoir toutes ses chances. Après tout, un animal n’a-t-il pas le droit à autant de dignité dans sa souffrance qu’un être humain ?
S’approprier la nature ?
Il n’y a pas que de «bonnes intentions » dans les nombreux cas que nous recevons chaque jour… Cette jeune Pie a été «baguée » avec de vulgaires anneaux en métal, dont l’un d’eux enroulé autour d’un doigt et empêchant l’oiseau de se déplacer correctement…, volontairement ? Nous ne le savons pas, mais heureusement cet acte de maltraitance n’a pas eu de conséquences trop importantes sur l’animal qui a pu être relâché après quelques soins.
Ce Faucon pèlerin, ci-dessous, trouvé encore poussin, a été gardé pendant 2 mois dans une cage. Résultat : des rémiges, plumes essentielles au vol, étaient cassées par l’exiguïté de la cage, et le plumage de l’oiseau était sale et abîmé car traînant dans ses déjections…
Les découvreurs avaient conscience de l’existence de notre centre de soins dès le départ, mais ont préféré le garder dans une cage à lapin, nourri à la viande crue… Une bête de foire ? Une histoire « sympa» à raconter ? Ce Faucon, qui aurait pu être replacé au nid directement après sa découverte, va recevoir des greffes de plumes et de longues semaines de rééducation sans garantie de pouvoir être relâché.
Espèces sous protection
Conformément à l’article 68 de l’Ordonnance relative à la Conservation de la Nature du 1er mars 2012, la détention d’espèces sauvages indigènes est interdite en région Bruxelles-Capitale. Une peine de prison et une amende jusqu’à plusieurs milliers d’euros peuvent être appliquées.
Ainsi, au-delà des bonnes ou mauvaises intentions, la loi demeure : seules les structures possédant une dérogation ont le droit d’accueillir des animaux sauvages, dans le but de les soigner et relâcher.
Il arrive que le centre de soins de Bruxelles ne soit pas toujours joignable au premier coup : ce sont les soigneuses qui répondent au téléphone, et quand nous sommes occupées à prodiguer des soins, il ne nous est pas possible de décrocher.
En haute saison (de mai à septembre) nous avons des centaines d’animaux en soins, parfois plus de 40 animaux accueillis par jour, et encore plus d’appels et de mails signalant des animaux blessés.
Notre équipe est souvent débordée, et privilégie les urgences. Il faut donc être patient et indulgent. En attendant de recevoir des conseils, la priorité est de placer l’animal au calme, dans le noir, avec une source de chaleur. Vous trouverez aussi de nombreux conseils sur le site internet de la Ligue.
Notre structure ne fonctionne que grâce aux efforts combinés des bénévoles, des soigneurs, des vétérinaires mais surtout des particuliers qui trouvent un animal en détresse et font le nécessaire pour le rapatrier au centre de soins le plus rapidement possible. Ce n’est qu’avec la participation de chaque maillon de la chaîne que nous arriverons à secourir le plus d’animaux sauvages en détresse.
Merci à tous nos bénévoles, tous nos membres et toutes les personnes prêtent à donner un peu de leur temps pour y parvenir !