L’Europe subit depuis plus d’un an une épidémie de grippe aviaire sans précédent. Cette épidémie touche les élevages de volaille, mais aussi les oiseaux sauvages, et ce de façon catastrophique. Pour cette raison, l’épidémie est comparée à la crise liée à l’utilisation massive du DDT dans les années 1960 et 1970, qui à inspiré à Rachel Carlson son célèbre “Printemps silencieux”.
Le printemps silencieux
En 1962, Rachel Carson décrivait les dégâts causés par l’agriculture industrielle sur la biodiversité. Son avertissement était clair : l’usage massif des pesticides, en particulier du Dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT) dirigeait la planète droit vers le “printemps silencieux”, un monde sans oiseaux. Ce livre a contribué à un éveil des consciences, qui a finalement mené à l’interdiction du DDT dans l’agriculture.
Aujourd’hui, les menaces qui pèsent sur les oiseaux sont nombreuses et variées. Les populations d’oiseaux et la biodiversité en général déclinent de manière alarmante, et il est grand temps d’agir pour enrayer la catastrophe (voir notre article à ce sujet dans L’Homme et l’Oiseau 1|2023).
Une épidémie de grippe aviaire sans précédent
L’épidémie de grippe aviaire qui sévit depuis plus d’un an (voir aussi notre article à ce sujet dans L’Homme et l’Oiseau 1|2023) vient s’ajouter aux menaces déjà considérables qui pèsent sur l’avifaune. La crise de la grippe aviaire est tout simplement en train de causer la perte d’oiseaux la plus rapide depuis plusieurs décennies au Royaume-Uni. D’après James Pearce-Higgins, directeur scientifique au British Trust for Ornithology (BTO), “La dernière fois que l’on a fait face à de si rapides pertes d’oiseaux à grande échelle au Royaume-Uni, c’était dans les années 1950 et 1960 avec les impacts du DDT sur les rapaces, associés au récit du Printemps silencieux, ou le déclin généralisé des oiseaux des milieux agricoles dans les années 1970 et 1980, à la suite de l’intensification de l’agriculture”.
Sa référence au livre coup de poing de Rachel Carson de 1962 compare l’impact de la grippe aviaire actuelle à celui des pesticides contenant du DDT dans les années 1950 et 1960. L’usage de ces produits a tué directement de nombreux oiseaux et autres animaux. Le DDT avait pour effet de fragiliser la coquille des œufs, au point qu’elle se brisait lorsque les adultes les couvaient.
Une hécatombe chez les oiseaux pélagiques
En Europe, les pays enregistrant le plus de cas touchant les oiseaux sauvages sont l’Allemagne, la France, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. Les oiseaux pélagiques sont les plus affectés, en raison de leur mode de nidification en colonies denses, qui favorise la circulation du virus. Ce sont donc sur les régions côtières que la majorité des cas sont détectés.
Au Royaume-Uni, les ornithologues sont particulièrement inquiets pour le Fou de Bassan (Morus bassanus) et le Grand Labbe (Stercorarius skua), dont le pays héberge environ 60% de la population nicheuse mondiale. James Pearce-Higgins avertit que des cas ont déjà été détectés cet hiver parmi les oiseaux sauvages hivernants, ce qui n’augure rien de bon pour 2023, qui pourrait voir un retour du virus dans les colonies d’oiseaux pélagiques.
L’unique colonie française de Fous de Bassan, sur l’île Rouzic dans les Côtes-d’Armor, a été touchée à partir du mois de Juillet 2022. Ce site exceptionnel compte environ 19 000 couples nicheurs. La LPO estime à plusieurs milliers le nombre de Fous de Bassan morts au cours de l’été 2022 au sein de cette colonie. Les dynamiques de population de ces oiseaux étant lentes, ce sont potentiellement des décennies d’efforts de conservation qui sont là réduits à néant. Le virus ne se limite pas aux oiseaux marins. En France, des Vautours fauves (Gyps fulvus) contaminés par le virus H5N1 ont été détectés pour la première fois lors de la saison de reproduction 2022 (voir notre dossier sur les vautours dans L’Homme et l’Oiseau 1|2023), provoquant une chute du taux d’envol des jeunes de 75% en 2021 à 31% en 2022. Là aussi, les enjeux de conservation sont significatifs.
Un impact considérable, et pourtant largement sous-estimé
Le virus frappe les oiseaux de façon très large. En Europe, ce ne sont pas moins de 63 espèces d’oiseaux infectés qui ont été enregistrées, répartis dans 37 pays. Chez les oiseaux sauvages, 3 500 cas ont été détectés. Et au niveau mondial, selon l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA), plus de 50 000 oiseaux sont morts du virus H5N1 depuis octobre 2021. Cependant, il est largement admis que ces chiffres ne représentent qu’une fraction du bilan réel, car seule une petite minorité des oiseaux infectés sont effectivement collectés pour être testés en laboratoire.
Le constat est confirmé par Michelle Wille de l’Université de Sydney : “Les nombres rapportés sont probablement largement sous-estimés. Par exemple, sur environ 8 000 Sternes caugeks mortes aux Pays-Bas, seulement une poignée sont incluses dans les chiffres officiels. Dans ce cas-ci, une différence de 200x entre les chiffres rapportés et le bilan réel est observée. Le manque d’appréciation de l’ampleur de la mortalité chez les oiseaux sauvages est inquiétante, car il y a probablement des ramifications au niveau de certaines espèces ou certaines populations.”
Dégâts et inquiétudes sur tous les continents
L’Amérique du Nord suit l’Europe en termes de cas de grippe aviaire enregistrés. Le virus s’est également étendu à travers les populations d’oiseaux en Afrique, en Asie, et en Amérique du Sud. Au Pérou notamment, plus de 22 000 oiseaux marins ont été touchés, en majorité des Pélicans thages (Pelecanus thagus). Cette expansion alarmante fait craindre une possible atteinte à certaines espèces vulnérables de l’archipel des Galapagos.
Et pendant ce temps en Wallonie… les faisans relâchés pour la chasse amplifient la propagation du virus
Alors que le virus ravage les colonies d’oiseaux sauvages et cause parallèlement des dommages économiques importants, les lâchers de “petit gibier” d’élevage sont restés autorisés en Wallonie. Cet automne, trois foyers de grippe aviaire impliquant des faisans d’élevages relâchés dans la nature pour être chassés ont été découverts. Les faisans d’élevage ayant perdu certains traits de comportement sauvage, ils restent présents en grand nombre à proximité du lieu où ils ont été lâchés. Cette concentration artificielle d’oiseaux vulnérables à la grippe aviaire permet au virus de se propager facilement, et ainsi d’aggraver l’épidémie. Pour cette raison, le collectif Stop aux Dérives de la Chasse, dont la LRBPO est l’une des associations fondatrices, demande aux autorités de mettre fin à cette pratique en Wallonie.
Le Centre de Soins de la LRBPO, sentinelle de la grippe aviaire à Bruxelles
Fin janvier, plusieurs Mouettes rieuses venues de différentes communes de la Région bruxelloise ont été recueillies à notre Centre de Soins d’Anderlecht. Par précaution, elles ont immédiatement été placées en quarantaine à l’écart des autres animaux du centre. Des analyses en laboratoire ont confirmé que les mouettes étaient porteuses de la grippe aviaire. L’épidémie a donc atteint la Région bruxelloise. Le rôle de sentinelle de notre association a permis ensuite à d’autres acteurs régionaux de mettre sur pied une campagne de communication à destination du grand public concernant cette épidémie.
Revoir le modèle de l’exploitation animale, une nécessité
Vu l’ampleur et la gravité de la situation, nos confrères de la LPO France réclament un changement de modèle de production avicole. Des élevages plus petits, moins nombreux, une limitation des échanges à longue distance et internationaux, une diversification des races utilisées, une augmentation de la diversité génétique; tous ces éléments peuvent faire partie de la solution. Un changement de méthodes de production à conjuguer avec une évolution de nos modes de consommation. Il est en effet de plus en plus communément admis qu’une diminution de la consommation de viande et de produits d’origine animale est nécessaire pour lutter contre le déclin de la biodiversité et contre le dérèglement climatique.
Références
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Astier, M. (2023, 11 janvier) La grippe aviaire, nouveau péril pour les oiseaux sauvages. Reporterre. Consulté le 17 janvier 2023 sur https://reporterre.net/La-grippe-aviaire-nouveau-peril-pour-les-oiseaux-sauvages
LPO (2022, 1er septembre) Grippe aviaire : le point sur la situation en France. LPO. Consulté le 17 janvier 2023 sur https://www.lpo.fr/qui-sommes-nous/toutes-nos-actualites/articles/actus-2022/grippe-aviaire-le-point-sur-la-situation-en-france
Demesse, A. (2023, 7 janvier) Prise de bec autour des lâchers de faisans en Wallonie : “Cela joue un rôle d’amplificateur de virus”. La Libre. Consulté le 17 janvier 2023 sur https://www.lalibre.be/planete/environnement/2023/01/07/prise-de-bec-autour-des-lachers-de-faisans-en-wallonie-cela-joue-un-role-damplificateur-de-virus-5KVZCOM7ENFMNG63N7YTXQC4NQ/
Colinet, O. (2022, 8 décembre) Chasse : la grippe aviaire amplifiée par les lâchers de faisans. Natagora.Consulté le 17 janvier 2023 sur https://www.natagora.be/news/chasse-la-grippe-aviaire-amplifiee-par-les-lachers-de-faisans
WWF Belgique (2022, 13 novembre) Peut-on manger de la viande sans nuire à la planète ? WWF Belgique. Consulté le 17 janvier 2023 sur https://wwf.be/fr/actualites/peut-manger-de-la-viande-sans-nuire-la-planete
EFSA (European Food Safety Authority), ECDC (European Centre for Disease Prevention and Control), EURL (European Reference Laboratory for Avian Influenza), Adlhoch, C, Fusaro, A, Gonzales, JL, Kuiken, T, Marangon, S, Niqueux, É, Staubach, C, Terregino, C, Aznar, I, Chuzhakina, K, Muñoz Guajardo, I and Baldinelli, F, 2022. Scientific report: Avian influenza overview June–September 2022. EFSA Journal 2022; 20( 10):7597, 58 pp. https://doi.org/10.2903/j.efsa.2022.7597