Depuis longtemps, les éthologues étudient l’intelligence des mammifères, en particulier celle des primates les plus proches génétiquement de l’homo sapiens, dont le chimpanzé et l’orang-outang. Cependant, les scientifiques s’intéressent également aux oiseaux réputés pour leur intelligence (p.ex. ceux qui utilisent des « outils »), tels les corvidés.
La star Betty
Dans ce domaine, une star incontestée est le Corbeau calédonien (Corvus moneduloide), en particulier Betty, un animal de laboratoire étudié à l’université d’Oxford au début des années 2000[1]. Le dispositif expérimental consistait en un cylindre vertical contenant un seau contenant lui-même la nourriture. Par quel moyen décrocher le seau ? Seul un fil d’aluminium droit était disponible. Betty l’a placé dans un coin et l’a plié avec le bec pour créer un crochet. Ainsi, elle a pu retirer le seau contenant la nourriture. Ce corbeau a donc inventé et fabriqué un outil pour résoudre son problème. Betty était-elle surdouée ? Sans doute pas car on a pu observer ultérieurement que dans la nature ses congénères sont également capables de cet « exploit ». Elle faisait simplement ce qui vient naturellement à l’esprit des corbeaux calédoniens : utiliser leur prédisposition génétique, leur expérience et leur intelligence créatrice pour résoudre un problème. Comme font les humains …
Le cerveau performant des oiseaux
Deux études publiées en septembre 2020 dans la revue “Science” suggèrent qu’une partie du cerveau des Oiseaux peut les aider à atteindre la conscience. Ces études allemandes [2-3] ont examiné le cerveau des pigeons et des chouettes et le comportement des Corneilles noires (Corvus corone). Au moyen de méthodes sophistiquées d’étude du cerveau , les chercheurs ont découvert que, si la structure du cerveau des oiseaux est très différente de celle des mammifères, leur boîte crânienne abrite un paquet de neurones (le « pallium ») au moins aussi important que celle de ces derniers.
On peut donc attendre des oiseaux des performances cognitives aussi importantes que celles des mammifères. Ce qui est le cas. D’où la question à mille euros : des oiseaux intelligents comme les corneilles peuvent-ils avoir une conscience ?
Conscience ou sentience ?
Et d’abord, qu’est-ce que la conscience ? A vrai dire, on n’en trouve pas de définition précise et sans ambiguïté, ni dans la littérature scientifique francophone, ni anglo-saxonne. Du coup, les scientifiques français préfèrent parler de « sentience ».
Avant tout, il faut distinguer la sentience de la sensibilité. Cette dernière, beaucoup plus restrictive, se définit comme la faculté de sentir, l’aptitude d’un organisme à réagir à des excitations externes ou internes. Elle fait appel aux sens biologiques (les 5 sens de l’humain).
La sentience [4] ratisse plus large. Ce concept central en éthique animale est la capacité de ressentir, d’éprouver la douleur, le plaisir et diverses émotions. Ce qui arrive à un être sentient lui importe : il tire des leçons de l’expérience et in fine choisit. Dans ce sens, la sentience est synonyme de conscience. Ce concept est à prendre en compte dans les relations de l’humain avec les animaux d’élevage et de compagnie. Mais aussi dans celles avec les animaux sauvages prisonniers et exhibés dans les zoos et les cirques. Mais tout autant dans les actes de chasse : chasse à courre ou chasse tout court. Ce qui implique que des avancées légales en faveur des animaux font partie des combats menés quotidiennement par la LRBPO. Notons que la sentience ne s’applique pas uniquement aux vertébrés : pensons par exemple aux poulpes et à divers insectes.
Reconnaissance ultime : le mot a fait son entrée dans le Larousse 2020 : SENTIENCE n.f. (du latin sentiens, ressentant). Pour un être vivant, capacité à ressentir les émotions, la douleur, le bien-être, etc., et à percevoir de façon subjective son environnement et ses expériences de vie.
La sentience des corvidés
De nombreuses expériences ont mis en évidence la sentience des corvidés. Par exemple, celle relatée par John Marzluff [5], de l’Université de Washington. Ainsi, en 2011, une équipe de 7 étudiants a attrapé des Corneilles d’Amérique (Corvus brachyrhynchos) sur le campus et les a enfermées en volière. Ces étudiants portaient tous des masques grimaçants d’hommes des cavernes. Après que les corneilles aient été relâchées, 7 autres étudiants qui ne les avaient pas approchées mais portaient les même masque d’hommes des cavernes, se sont promenés sur le campus et ont été attaqués par les corneilles, qui étaient plus nombreuses que celles qui avaient été capturées Apparemment, les corneilles avaient communiqué entre elles à propos de la menace. Dix ans plus tard, on a répété l’expérience et les étudiants masqués ont été à nouveau attaqués. Détail amusant, lorsque les étudiants portaient leur masque à l’envers, les corneilles tournaient la tête pour mieux les voir avant d’attaquer …
Donc, pas de doute, nos Corneilles noires et leurs collègues corvidés sont bien sentients et donc conscients. De quoi considérer d’un autre œil ces oiseaux qui ont souvent mauvaise réputation. Pourtant, bien que protégées par la loi comme toutes les espèces sauvages (à l’exception des espèces « gibier »), elles font trop souvent l’objet de dérogations et sont tuées. Encore un combat dont s’est saisi la LRBPO.
Pour mémoire, les corvidés de chez nous sont le Cassenoix moucheté (Nucifraga caryocatactes), le Choucas des tours (Corvus monedula), la Corneille noire (Corvus corone), le Grand Corbeau (Corvus corax), le Corbeau freux (Corvus frugilegus), le Geai des chênes (Garrulus glandarius) et la Pie bavarde (Pica pica).
En savoir plus
Références :
- http://users.ox.ac.uk/~kgroup/tools/tool_manufacture.shtml
- Martin Stacho et al. Ruhr-Universität Bochum in https://science.sciencemag.org/content/369/6511/1567
- Andreas Nieder et al. Universität Tübingen in https://science.sciencemag.org/content/369/6511/1626
- Journée mondiale des intelligences animales – Paris 24-02-2021 https://guidenaturebrabant.wordpress.com/2021/02/24/revoir-conference-de-la-journee-mondiale-des-intelligences-animales/
- https://environment.uw.edu/faculty/john-marzluff/