Nismes
Grâce à l’enthousiasme et au savoir-faire de toute une équipe entreprenante du Centre Marie-Victorin de Vierves-sur-Viroin, cette nouvelle réserve de la Ligue Royale Belge pour la Protection des Oiseaux se développe de façon harmonieuse sous les effets d’une gestion éclairée et scientifique.
Le sport et la nature, une bien drôle d’histoire parfois…
En 1975, la réalisation d’un terrain de football est envisagée à Nismes (entité de Viroinval), petite agglomération située en Entre-Sambre-et-Meuse, dans le sud de la province de Namur. Le site retenu présentant l’inconvénient d’être inondé périodiquement, la surface dévolue au terrain de sport doit être rehaussée de plusieurs mètres. L’entreprise couvinoise Haine, qui remporte l’adjudication, achète alors une prairie contiguë afin de limiter au maximum les frais de transport en y prélevant la terre nécessaire aux travaux de remblaiement.
C’est ainsi qu’une dépression de plus d’un hectare, recueillant les eaux de pluie et inondée (plaine alluviale) lors de crues de la rivière toute proche, l’Eau Blanche, attire bientôt l’attention d’un jeune ornithologue mariembourgeois, Marc Lambert. En effet, ce nouveau milieu profite d’une situation géographique particulière : il est à proximité de la confluence de l’Eau Blanche et de l’Eau Noire. À cet endroit se forme le Viroin dont la vallée est un couloir migratoire régional important pour les oiseaux, tout comme la dépression de la Fagne également toute proche. Le passage d’oiseaux migrateurs et/ou erratiques favorise l’observation d’espèces inhabituelles tandis que l’évolution progressive du complexe de mares vers la saussaie permet l’installation d’une avifaune nidificatrice peu courante dans une région plutôt dominée par la forêt, d’une part, et par un bocage se développant sur terrains secs, d’autre part. Il aura fallu plus de dix années de patientes démarches pour pouvoir enfin acquérir, en septembre 1998, cette zone humide et ses environs immédiats qui couvrent 3 hectares 50 ares.
Un ancien méandre de l’Eau Blanche (26 ares), contigu à la nouvelle réserve naturelle, y est intégré grâce à une convention signée en mars 1999 entre la Ligue Royale Belge pour la Protection des Oiseaux et l’Administration communale, propriétaire. La réserve naturelle est composée de différents milieux particulièrement variés que nous vous proposons de découvrir. Suivez le guide…
La jeune saussaie
À l’origine, le sol schisteux est dénudé et ce sont les limicoles de passage qui profitent de ce nouveau milieu : Combattant varié (Philomachus pugnax), Chevalier aboyeur (Tringa nebularia), cul-blanc (Tringa ochropus), guignette (Actitis hypoleucos) et gambette (Tringa totanus) s’y arrêtent en migration. Le Petit Gravelot (Charadrius dubius) y nicha jusqu’au début des années 1980 (1983 ?).
Progressivement, le milieu se referme avec l’apparition d’arbustes et la formation d’une mégaphorbiaie (végétation herbacée haute et très florifère). Ce sont alors surtout les passereaux qui tirent parti du site en y installant leur nid : Rousserolle verderolle (Acrocephalus palustris), Bruant des roseaux (Emberiza schoeniclus), Locustelle tachetée (Locustella naevia), Pipit farlouse (Anthus pratensis), Tarier pâtre (Saxicola torquata), Fauvettes des jardins et grisette (Sylvia borin/communis), Linotte mélodieuse (Carduelis cannabina)… Le Gorgebleue à miroir (Luscinia svecica) et la Rousserolle effarvatte (Acrocephalus scirpaceus) s’y attardent parfois au printemps, mais sans effectuer jusqu’ici de nidification. Par contre, une bordure plus sèche fixe avec succès l’Hypolaïs polyglotte (Hippolais polyglotta).
Une séance de baguage se déroulant fin août et répétée plusieurs années de suite (groupe Cinclus) révèle un rôle important du site : celui de relais migratoire pour les petits passereaux insectivores (recherche diurne de nourriture, aire de repos) comme les Rousserolles effarvatte et verderolle, la Locustelle tachetée, les Fauvettes des jardins, grisette, babillarde (Sylvia curruca) et à tête noire (Sylvia atricapilla), le Phragmite des joncs (Acrocephalus schoenobaenus), le Gorgebleue à miroir, les Hypolaïs ictérine (Hippolais icterina) et polyglotte. Certaines espèces baguées sont plus rares : Rousserolle turdoïde (Acrocephalus arundinaceus), Locustelle luscinioïde (Locustella luscinioides), Phragmite aquatique (Acrocephalus paludicola), Fauvette épervière (Sylvia nisoria) ainsi que le Torcol fourmilier (Jynx torquilla) (Bulteau et al., 1996).
La saussaie est sous eau d’octobre à avril et permet l’hivernage du Râle d’eau (Rallus aquaticus). Les saules les plus âgés présentent également un intérêt bryologique (étude des mousses par Ph. De Zuttere).
La jeune cariçaie
Une zone d’environ 60 ares a été «décapée» plus superficiellement et fut d’abord pâturée par les ovins. Cette pratique étant abandonnée depuis 7-8 ans, une cariçaie (peuplement de laîches) s’y développe. Des buissons de saules apparaissent ici et là, permettant le cantonnement et la nidification de la Rousserolle verderolle, du Bruant des roseaux, du Tarier pâtre, du Pipit farlouse… En hiver, la Bécassine des marais (Gallinago gallinago) et la Bécassine sourde (Lymnocryptes minimus) (comptage BIROE/M. Lambert) y séjournent tandis que des dortoirs de passereaux s’y forment, comme pour le Pipit spioncelle (Anthus spinoletta).
Les prés de fauche
Si ceux-ci ne permettent pas la nidification d’un grand nombre de nouvelles espèces, beaucoup y trouvent leur nourriture dont pas mal de rapaces diurnes et nocturnes comme l’attestent les pelotes de réjection trouvées au pied des piquets de clôture. Après la fauche, l’observation de la Bergeronnette printanière (Motacilla flava), du Traquet motteux (Oenanthe oenanthe), du Pipit des arbres (Anthus trivialis) et de bien d’autres migrateurs est régulière.
Les milieux rudéraux
Les talus, bords de chemins et friches sont couverts d’une végétation appréciée par les granivores et c’est toujours un régal pour les yeux de surprendre le Chardonneret élégant (Carduelis carduelis), la Linotte mélodieuse (Carduelis cannabina), le Serin cini (Serinus serinus), le Bouvreuil pivoine (Pyrrhula pyrrhula) en période de reproduction. Le Tarin des aulnes et le Sizerin flammé (Carduelis spinus et C. flammea) s’y nourrissent également en période hivernale.
L’ancien méandre de l’Eau Blanche
Régulièrement inondé, couvert d’arbres et d’arbustes, l’ancien méandre est remarquable au printemps pour l’observation des premiers insectivores au retour. Ensuite, le Gobemouche gris (Muscicapa striata) y niche ainsi qu’une belle population de Rossignols philomèles (Luscinia megarhynchos) et de Gallinules poules-d’eau (Gallinula chloropus). En résumé, 137 espèces d’oiseaux dont 41 nicheuses ont été dénombrées dans cette nouvelle réserve naturelle de la LRBPO.
Intérêt botanique
Même un ornithologue acharné ne reste pas insensible devant les étendues fleuries de la Salicaire (Lythrum salicaria) et de la Reine-des-prés (Filipendula ulmaria), surtout quand elles sont animées par de nombreux insectes butineurs. Grâce aux inventaires réalisés en 1997 et en 1998 par Jacques Duvigneaud et Bernard Clesse, une liste de 141 espèces a pu être dressée dont certaines fort rares pour le district mosan. Citons les Laîches des rives (Carex riparia), des renards (Carex vulpina) et vésiculeuse (Carex vesicaria), le Scirpe à une écaille (Eleocharis uniglumis) ainsi que d’autres portant de jolies fleurs : Véronique à écus (Veronica scutellata), Erythrée élégante (Centaurium pulchellum), Potentille anglaise (Potentilla anglica) sans oublier la graminée Pâturin des marais (Poa palustris). La plupart des espèces présentes sont liées à des terrains humides soumis périodiquement à des inondations.
Autres intérêts
Papillons, libellules, criquets et sauterelles sont également inventoriés, de même que les mammifères, les batraciens et les reptiles. La Couleuvre à collier (Natrix natrix) apprécie beaucoup le site et est régulièrement observée. Les années à venir devraient permettre d’améliorer nos connaissances pour ces groupes. Soulignons également la complémentarité de cette réserve par rapport à celles de la Montagne-aux-Buis et de la Roche-à-Lomme (R.N. Ardenne et Gaume) situées sur le versant proche (forêts et pelouses calcicoles). La protection de cet ensemble est indispensable pour les espèces qui exigent à la fois la présence de milieux secs et humides au sein de leur domaine vital, comme pour les reptiles par exemple.